Avec la Guerre Froide, Moscou eu besoin de moyen énormes pour surveiller les très importantes frontière terrestres et maritime du pays. Dans ce cadre, les Soviétiques ne possèdaient que quelques petits hydravions Beriev MBR-2 ainsi que des Consolidated Catalina acquit grâce au Prêt-Bail. L’AVMF (aéronavale soviétique) réclama sans plus attendre un hydravion de reconnaissance maritime capable de repérer les éventuels sous-marins anglais ou américains. Beriev, spécialiste en hydravion et amphibie, fut immédiatement chargé par Staline lui même de concevoir un tel avion.
Pour l’architecture générale du nouvel appareil, l’avionneur s’inspire de l’hydravion américain Martin Mariner. Il s’agit d’un monoplan à aile en mouette (forme de « M ») bimoteur disposant d’une coque largement profilé et dont l’empennage, à double queue, se termine par une tourelle mitrailleuse. Il est prévu de doter l’appareil de deux gros moteurs en étoile de 3000 ch. chacun mais la pénurie de tels moteurs et l’urgence à se doter d’une nouvelle arme anti-sous-marine pousse Beriev à adopter deux moteurs moins puissants. Le premier prototype désigné LL-143 sort des usines Beriev en mars 1947 et effectue son premier vol en avril de la même année.
Le LL-143 n’est alors encore qu’un prototype, mais il est officiellement présenté en vol au-dessus de Moscou le 1er mai 1947 en présence de Joseph Staline. Le dictateur se déclare alors agréablement surpris par la taille et l’impression de puissance qui se dégage de l’hydravion. Il faut toutefois attendre janvier 1949 pour voir voler le premier avion de série désigné Be-6. Quelques modifications notables ont été apportés à l’appareil : disparition de la tourelle de nez au profit d’un poste d’observation pourvu d’un puissant phare, apparition d’un volumineux radôme rétractable à l’arrière du redan de coque, et, automatisation des tourelles de défense. Dans ces dernières, les mitrailleuses de 12.7 mm ont été remplacés par des canons de 23 mm plus communs en Union Soviétique.
La première unité de Be-6 est déclaré opérationnelle à l’automne 1949, et affectée à la défense des installations navales soviétiques sur la Baltique et en Mer de Barents. La détection des submersibles occidentaux se révèle plus délicate que prévue pour les équipages de l’AVMF, si bien que Beriev doit modifier tous les Be-6 à partir du deuxième lot. Sur ces machines la tourelle de queue a été déposée et remplacée par un détecteur d’anomalie magnétique, dont l’antenne rallonge l’appareil de plus de trois mètres. Néanmoins grâce à l’empennage à double queue la stabilité de l’appareil n’est guère altérée que lors des phases d’amerrissage.
En 1950 un Beriev Be-6 est repéré par un destroyer de l’US Navy, et pris en photo. Celle-ci permettra aux officiels de l’OTAN de comprendre que ce qu’ils prenaient pour une pâle copie du Mariner est en fait bien supérieur au Marlin alors en service aux Etats-Unis. L’OTAN attribue au Be-6 le code de « Madge« .
Pendant la totalité des années 50, et notamment lors de la Guerre de Corée, les Be-6 de l’AVMF vont jouer au chat et à la souris avec les submersibles et les bâtiments de surface de la Navy, tant dans les froides eaux des mers de Barents et de la Baltique, qu’autour de la Méditerranée et en Mer Noire. Au total, l’AVMF va disposer de plus de 350 Beriev Be-6, dont certains ont été transformés pour des missions d’écoutes électroniques et de renseignement.
L’une des premières confrontations importante entre un Madge et l’OTAN va avoir lieu en Méditerranée en juillet 1958 alors que les navires de guerre français contrôlent la partie occidentale de la mer. Un croiseur de la Marine Nationale est survolé par un Madge, alors que celui-ci est à plus de 1 500 kilomètres de la première base soviétique, non loin des côtes de la Tunisie. Le navire français en informe immédiatement son état-major qui dépêche sur la zone une patrouille de chasseurs Dassault Mystère IV de l’Armée de l’Air. Les jets de combat français vont effectivement intercepter l’hydravion soviétique, mais au-dessus des eaux internationales. Un Lancaster de la Flottille 9S de l’Aéronautique Navale réussit pourtant à le suivre jusqu’à Otrante et l’entrée de l’Adriatique. L’OTAN avait donc la preuve que la Yougoslavie servait de base arrière pour les Madge soviétiques.
Malgré cet incident en Méditerranée, la plupart des missions du Be-6 eurent lieu dans la Baltique et notamment en surveillance du golfe de Botnie. Selon Moscou si les hydravions et les sous-marins soviétiques arrivaient à contrôler ces deux espaces maritimes, ils contrôleraient par la même occasion la Mer du Nord. Néanmoins cette dernière demeurait le jardin privé de la Royal Navy.
Les Be-6 demeurèrent en première ligne en URSS jusqu’à l’arrivée au milieu des années 60 de son successeur désigné : le Beriev Be-12. Toutefois le Madge demeura en service, désarmé, pour des missions de guerre électronique et de surveillance des zones de pêches. C’est d’ailleurs lors d’une de ces dernières missions que fut perdu en septembre 1969 un Be-6 à proximité de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent au Canada. Le Madge qui suivait des « chalutiers » russes fut pris dans une tempête et dû lancer un SOS. Une partie de son équipage fut sauvé par un escorteur de la Royal Canadian Navy et par un amphibie Grumman HU-16 des US Coast Guard. L’hydravion soviétique sombra.
Cet accident, qui fit tout de même deux morts, sonna la retraite opérationnelle pour les Beriev Be-6 en Union Soviétique. Les appareils furent relégués à des missions d’entrainement au profit des équipages d’hydravion, et de calibration pour les radars côtiers de l’empire soviétique. Le dernier Madge fut définitivement retiré du service en 1982.
L’URSS ne fut pourtant pas le seul utilisateur du Madge, car la République Populaire de Chine acquit en 1955 un lot de 30 appareils. Leur mission principale était également la lutte anti-sous-marine mais également la lutte anti-navire, notamment contre les bâtiments battant pavillon de Taïwan. Le manque de pièces détachés, suite au gel des relations entre Moscou et Pékin en 1960, fut comblé par l’industrie locale qui produisit des éléments à même de standardiser les Be-6 « à la mode » chinoise. La plupart des Be-6 chinois ont servit jusqu’au début des années 90, et au moins trois d’entre eux avaient été transformés en avions espion. Ils ont depuis tous laissé la place au très discret Harbin PS-5.
Si le Beriev Be-6 n’a pas eu l’aura de son descendant direct le Be-12, il n’en demeure pas moins une machine d’une solidité exemplaire, d’une aisance d’emploi sans équivalent à l’époque, et d’un polyvalence caractéristique. En somme un appareil typiquement soviétique.
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