L’une des vitrines de puissance d’une force aérienne résulte dans sa capacité à pouvoir prévoir et analyser une situation de crise dans son propre ciel. Pour cela les aviations militaires disposent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale des stations de défense aérienne dotée de radars, souvent tridimensionnels, capable de voir loin les aéronefs qui pourraient représenter une menace pour l’intégrité territoriale. Toutefois ces appareillages présentent quelques lacunes, que ce soit d’ordre météorologique, technique, ou simplement électronique. Jusque très récemment les radars de défense aérienne ne pouvaient pas repérer les avions volant à très basse altitude, et donc représentaient une carence lourde dans la défense des pays. L’une des puissances qui eut le plus à souffrir de cela fut, paradoxalement celle qui avait le maillage radar le plus dense au monde, l’Union Soviétique. Elle décida donc de moderniser sa défense aérienne, et cela passait par l’achat de plateformes de veille radar, ce que les anglo-saxons appellent des AWACS (pour Airborne Warning And Control System) largement utilisés par l’OTAN. L’Aviation du Front disposait pourtant d’une poignée de Tupolev Tu-126 Moss, des quadrimoteurs à turbopropulseurs disposant d’un long rayon d’action, mais dont la portée radar était alors largement insuffisante. C’est ce qui décida Moscou à lancer la production d’un des avions de veille radar les plus surprenants esthétiquement mais aussi les plus intéressants au point de vue des militaires : le Beriev A-50.
La décision politique de lancer l’étude et le développement d’une telle machine fut prise début 1973, à une époque où la Guerre Froide était au plus tendue, avec notamment la fin des combats américains en Asie du Sud-Est, mais aussi des foyers contestataires anti-communistes qui apparaissaient en Europe de l’Est, ou encore des pays africains qui après s’être libérés du joug britannique ou français étaient tentés par un marxisme pro-cubain ou pro-soviétique fort mal ressenti par Washington. En outre l’URSS voyait apparaître de nouveaux appareils de combat en Occident, à l’image du Grumman F-14 Tomcat, un appareil qui représentait une menace croissante pour les bombardiers soviétiques. C’est dans cette situation internationale que Moscou chargea le bureau d’étude Beriev, jusque là plutôt spécialiste des hydravions, de doter l’Aviation du Front d’un nouvel avion de veille radar.
L’urgence mentionnée par les responsables soviétiques était telle que Beriev renonça à concevoir un avion totalement nouveau et préféra finalement réaliser sa machine à partir d’un avion existant déjà. Plusieurs avions furent alors envisagés comme base de travail pour le futur AWACS soviétique. Le premier avion retenu fut le quadrimoteur à turbopropulseurs de transport tactique Antonov An-12 Cub, mais cette solution fut rapidement abandonnée pour des raisons de turbulences dues à la motorisation. Ensuite les équipes Beriev eurent la même idée que leurs homologues américains de Boeing, à savoir modifier un avion de ligne quadriréacteur afin d’en faire un avion militaire. Leur choix se porta sur l’Illyushin Il-62 alias Classic pour l’OTAN. Là encore les ingénieurs durent renoncer car le cahier des charges de Moscou prévoyait clairement que le nouvel avion devait être à même d’opérer à partir de terrain peu préparé, endommagés, voire gelés. C’est alors qu’ils eurent l’idée de choisir un avion qui alliait les capacités de vitesse et de confort de vol de l’Il-62 avec les grandes capacités et la possibilité d’opérer sur tous les terrains de l’An-12. Cet avion miracle était l’Illyushin Il-76 Candid. Deux de ces avions furent donc saisis par Beriev et envoyés sur une chaîne d’assemblage. Les premiers essais furent menés sur un prototype sur lequel on greffa le radôme du Tu-126.
Ainsi monté, l’Il-76 reçu la désignation locale d’A-50. En parallèle les Soviétiques travaillaient sur un radar à plus grande portée qu’ils comptaient monter sur le deuxième prototype. Le premier n’avait en fait comme seule mission que de servir à la propagande et à la désinformation en direction de l’OTAN. Ce premier A-50 réalisa son vol inaugural le 15 août 1977. À la différence du Candid, l’A-50 ne disposait pas de canons de défense en tourelle arrière, ceux ci étant remplacés par des équipements électroniques.En septembre 1977 l’usine Beriev de Taganrog, en Sibérie orientale, fut survolée par un Lockheed SR-71 Blackbird de l’US Air Force qui photographia le premier prototype de l’avion. Celui-ci fit une très forte impression aux Occidentaux qui décidèrent alors de le classer comme un des programmes soviétiques les plus dangereux pour l’OTAN. Il reçut également une désignation occidentale : Mainstay.
L’avion entra en service dans l’Aviation du Front début 1984 à hauteur de 25 exemplaires. Dans le même temps Beriev travaillait toujours sur son second prototype, doté lui d’un meilleur radar, à même de damer le pion aux avions américains similaires. Ces travaux débouchèrent en 1989 sur la présentation de l’A-50U, dont la portée radar était de 230 km en mode air-air et de 400km en mode air-surface, c’est à dire équivalente à celle du Boeing E-3 Sentry de l’US Air Force. Moscou demanda donc à l’avionneur de transformer les A-50 existants en A-50U. Le chantier débuta en 1991.
Entre temps le mur de Berlin était tombé, le communisme vivait ses derniers jours en Europe de l’Est, et l’Union Soviétique elle-même explosait de partout en une kyrielle de plus ou moins petites républiques avides d’autonomie, de libertés et de démocratie. L’Aviation du Front devint la Force Aérienne Russe. Ces mutations économiques et politiques entraînèrent également une large banqueroute. Si bien que seul seize Beriev A-50 furent réellement transformés en A-50U, les autres demeurant au standard de base. Aujourd’hui ils forment toujours l’épine dorsale de la défense aérienne russe, et sont disséminés sur des bases de chasseurs aux côtés des MiG-29 et Su-27, les principaux avions qu’ils appuient.
Mais à l’instar de ce qui se passa en Arabie Saoudite, en France, ou au Royaume Uni avec le Boeing E-3, le Beriev A-50 connu un certain succès à l’export. Le premier de ces clients fut l’Irak qui adopta le A-50 en 1988 sous la désignation d’Adnan. Dans le même temps la force aérienne de Saddam Hussein fit transformer en France par Thomson-CSF deux Il-76 en avion de guerre électronique et de veille radar sous la désignation de Bagdad 1. Ceux ci avaient une portée radar sensiblement supérieure aux Adnan, en fait des A-50 de première génération. Un Baghdad 1 fut perdu durant Tempête du Desert. En effet ces gros avions représentaient au sol des cibles de choix pour les chasseurs bombardiers de la coalition internationale. Les trois Adnan et le Baghdad 1 restant prirent le chemin de l’Iran voisin, qui ne les restitua jamais. Il semble que le Baghdad 1 iranien ait été détruit lors d’un accident en 1999. Les trois Adnan iraniens disposent toujours de leur radôme, mais seul un de ces avions serait encore en état de fonctionnement, les deux autres servant d’avions de transport.
En 2000 Beriev a reçu une commande de l’Indian Air Force pour la dotation de six A-50 dans une version améliorée, désignée A-50I. Celle ci se distingue par son équipement électronique d’origine israélienne, fourni par l’industriel Phalcon, une branche du géant I.A.I. et déjà responsable de la transformation d’un Boeing 707 pour le compte du Chili. Le Beriev A-50I est entré en service en Inde en 2007. A l’instar des Mainstay russes les A-50I indiens sont ravitaillables en vol, une qualité que ne possédaient pas les Adnan.Le A-50I va permettre d’augmenter la capacité de défense aérienne de l’Inde, et va disposer rapidement d’une liaison radio spéciale qui lui permettra de faire communiquer ses AWACS non-seulement avec ses escadrons de chasseurs, ce qui semble normal en outre, mais également avec les avions de l’Indian Navy et les hélicoptères de l’Indian Army.
Dans le même temps que l’Inde, la Chine tenta d’acquérir des A-50I, mais suite à des pressions diplomatiques américaines, européennes, et japonaises, la Russie refusa de fournir ce type de machines au géant asiatique. Du coup la Chine acheta quatre Il-76 basiques, et décida de les transformer elle-même à partir de radars semble t’il copié sur ceux des Adnan iraniens. Désigné KJ-2000 il semble toutefois que ces avions aient été conçus en partie par des ingénieurs provenant de Beriev. Les KJ-2000 chinois disposeraient également, selon la presse spécialisée, de moyens de guerre électroniques issus du Lockheed EP-3E, l’avion d’écoute standard de l’US Navy. En effet en avril 2001 un de ces avions fut intercepté par la chasse chinoise et dérouté vers une base militaire locale. Il ne fut rendu à l’Amérique que plusieurs semaines plus tard… en partie en pièces détachées. Le KJ-2000 ne peut pas réellement être considéré comme un A-50, mais plus comme une copie chinoise du A-50.
Toujours en production à des cadences certes très lentes, le Beriev A-50 peut être considéré comme l’AWACS le plus à même d’opérer sur des terrains de fortune, ce que le Boeing E-3, ou encore ses successeurs E-767 et Wedgetail ne peuvent pas. En Inde, ils volent aux côtés d’Embraer EMB-145AEWC plus petits. Combinant à la fois les caractéristiques technologiques des AWACS et les caractéristiques de rusticité des avions de transport soviétique, cette machine est certainement une des meilleures dans sa catégorie. Son remplacement en Russie n’est pas à l’ordre du jour. En 2008 l’Algérie, l’Indonésie, le Kazakhstan, et le Venezuela ont porté un certain intérêt à cette machine, qui pourrait tirer son épingle du jeu, notamment du fait que bon nombre de pays sont actuellement sous embargo américain en matière de matériel de défense.
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