Considérée comme une des missions de transport parmi les plus acrobatiques au monde le Carrier Onboard Delivery est une véritable spécialité de l’US Navy. D’abord réalisée par des avions bricolés comme le General Motors TBM-3R Avenger et par le Grumman TF-1 Trader, extrapolé du S2F Tracker, elle s’est peu à peu rationalisée grâce à l’entrée en service au milieu des années 1960 du Grumman C-2 Greyhound. Cet avion s’est révélé rapidement être un avion-cargo totalement tous-terrains d’une rusticité qui plaisait aux marins américains. Aussi son remplacement fut source de difficulté et c’est à une machine aux antipodes de lui-même que revint ce rôle : le convertiplane Bell-Boeing CMV-22 Osprey.
Lors de l’établissement du programme JVX, ou Joint-service Vertical take-off/landing Experimental, il fut prévu que l’US Navy prendrait livraison de cinquante machines d’une version spécialement conçue pour le sauvetage en mer et la recherche-sauvetage au combat. Celle-ci fut désignée HV-22B et était alors la version dont le cahier des charges était en 1983 le plus avancé. Il dérivait des enseignements de la guerre du Vietnam.
Le futur convertiplane devait à partir de 1995 pouvoir récupérer jusqu’à douze rescapés en mer ou quatre militaires au-dessus du champ de bataille, à une distance de 850 kilomètres de la base tout en état capable de réaliser des vols stationnaires hors effet de sol à 2135 mètres d’altitude. Afin d’assurer son autoprotection le HV-22B fut pensé pour emporter un armement de deux paniers à dix-neuf roquettes Hydra de 70 millimètres sous voilure et de deux mitrailleuses M60 de calibre 7.62 millimètres en gundoor. Un éjecteur de leurres thermiques AN/ALE-40 ainsi brouilleur infrarouge AN/ALQ-157 complétait l’arsenal de l’avion.
Malheureusement pour le consortium Bell-Boeing le vent tourna dès la fin de la guerre froide en 1990. L’US Navy perdit alors la primauté des missions de recherches et sauvetages au combat au profit de l’US Air Force et de l’US Marines Corps. Dans le même temps les études de faisabilités avaient mis en lumière que le HV-22B Osprey serait sans doute un peu trop volumineux pour les seules missions de sauvetages en mer. Le constructeur craignait alors un scénario similaire à celui de l’US Army qui avait abandonné le programme dès l’époque du V-22A. Il fallait impérativement trouver une solution.
C’est alors que Bell-Boeing pensa adapter son convertiplane aux missions de Carrier Onboard Delivery. Sauf qu’en ce début des années 1990 c’était plus facile à dire qu’à faire. En effet si le Grumman C-2A Greyhound n’était déjà plus de toute première jeunesse son remplacement n’était nullement à l’ordre du jour. Surtout l’US Navy alignait dans le même temps une poignée de Lockheed S-3A Viking modifiés pour ce rôle et spécialisés dans le transport de personnels et l’évacuation sanitaire. Un troisième COD semblait donc prématuré d’autant que les prévisions ne donnaient pas les ascenseurs et hangars des porte-avions de classe Nimitz comme particulièrement adaptés à une machine aussi volumineuse. En 1995 le concept en resta là et l’US Navy se détourna du V-22 Osprey.
Une grosse dizaine d’années plus tard, en 2009, le consortium revint à la charge auprès de l’US Navy. Il avait toujours l’idée d’utiliser le convertiplane comme remplaçant d’un C-2A(R) Greyhound désormais vieillissant et qui ne pouvait plus s’appuyer sur une petite flotte d’US-3A Viking retirés du service depuis dix ans. Surtout Bell-Boeing avait désormais la possibilité de mettre en avant les succès, encore relatifs, des MV-22B Osprey de l’US Marines Corps. Il restait toujours la question de l’adaptabilité aux porte-avions de classe Nimitz. Elle fut corrigée avec la décision de munir le dernier de la classe, l’USS George R. Bush d’une telle capacité afin de voir si celle-ci pourrait être montée ensuite sur d’autres navires. Le chantier ne réussit jamais à aboutir et les pourparlers en pâtir.
Finalement il fallut attendre janvier 2015 pour que Bell-Boeing réussisse à arracher l’idée d’un retour du convertiplane auprès de l’US Navy. Un accord fut passé avec l’US Marines Corps afin qu’il accepte de fournir un de ses MV-22B pour divers essais. En filigrane le consortium entendait faire de l’Osprey le Carrier Onboard Delivery nouvelle génération, de celle des porte-avions de la toute nouvelle classe Gerald R. Ford. Et cette fois l’idée était jugée séduisante par l’aéronavale américaine. Cependant il fallait renégocier le contrat d’origine du HV-22B qui portait toujours sur cinquante machines, un chiffre légèrement trop élevé pour le Navy Yard. Finalement les parties s’accordèrent sur quarante-quatre machines de série désormais connues comme CMV-22B.
Une telle désignation en disait long sur le convertiplane, reprenant à la fois les caractéristiques du MV-22B de l’US Marines Corps tout en acceptant des missions proches de celles des CV-22B de l’US Air Force. Si extérieurement le Bell-Boeing CMV-22B Osprey ressemble fortement à ses «grands frères» il est cependant beaucoup plus évolué. Il possède une avionique lui permettant de voler de jour comme de nuit dans les pires conditions météorologiques, celles que l’on rencontre au-dessus de l’Atlantique ou du Pacifique. Il a été pensé pour réaliser des missions entre 850 et 2100 kilomètres de distance sans recours au ravitaillement en vol auquel il est adapté comme tous les Osprey de série. C’est pour cela qu’il possède des réservoirs de soûtes nouvelle génération permettant de plus que doubler son rayon d’action. Une élingue fixée sous l’intrados de fuselage lui permet de réaliser des missions dites vertical replishment de transports de charges marchandes sur courtes distances, comme par exemple entre un navire de ravitaillement et le porte-avions. À la différence des CV-22B et MV-22B le CMV-22B n’est pas armé.
Dans sa configuration standard le Bell-Boeing CMV-22B Osprey peut accueillir dix passagers et 3500 kilogrammes de fret. En configuration de pur transport de personnels ce sont vingt-quatre passagers qui peuvent être accueillis en cabine ou bien jusqu’à 9000 kilos de fret en configuration tout cargo. C’est le 21 janvier 2020 que l’avion a réalisé son premier vol, étant livré à l’US Navy deux semaines plus tard, le 7 février. Les essais en vol ayant lieu durant la crise pandémique du Covid-19 celle-ci a impacté considérablement le programme. D’abord il a pris un certain retard puis il a créé un nouveau besoin : celui d’une évacuation sanitaire revue aux goûts du jour. Désormais le CMV-22B peut transporter douze blessés couchés ou bien trois lourdement médicalisés et jusqu’à cinq soignants. Par contre l’avion n’a aucune capacité de recherches et sauvetages, que ce soit au combat ou en mer. Il s’agit là de la chasse gardée des Sikorsky MH-60S Knighthawk.
Entrés en service à partir de début 2020 le Bell-Boeing CMV-22B Osprey a été déclaré opérationnel à la fin de l’année suivante. Si le calendrier est bien respecté il aura à partir de 2024 totalement pris la place du Grumman C-2A Greyhound et sera donc le seul et unique COD en service dans l’US Navy. Il faut savoir que le CMV-22B est apte au transport de toutes les motorisations d’aéronefs embarqués de l’aéronavale américaine.
De l’avis même des passagers le Bell-Boeing CMV-22B Osprey est bien plus agréable que le Grumman C-2A(R) Greyhound. Tout d’abord il vibre moins et ensuite il ne nécessite ni catapulte ni brins d’arrêt pour être mis en œuvre. Un vrai plus quand on songe au confort des personnels transportés, et notamment des malades et blessés. À priori cet avion ne sera jamais exporté, sauf décision en ce sens de la Marine Nationale ou de la Royal Navy.
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