La confusion des genres qui existait en URSS durant la guerre froide entre aviation civile et soutien aux forces armées façonna littéralement la compagnie Aeroflot et son activité. L’évolution de sa flotte aérienne en témoigne avec un nombre important d’aéronefs que l’on aurait plutôt vu sous les couleurs des forces aériennes soviétiques que d’un transporteur civil, même étatique. Et c’est ainsi qu’Aeroflot utilisa parfois des appareil dont la conception n’avait pour seul but que de la satisfaire dans un ou plusieurs rôles bien précis. L’un des exemples les plus frappants fut le quadrimoteur à turbopropulseur Antonov An-10.
Au tout début des années 1950 le trafic aérien intérieur soviétique n’était pas encore très développé. Pourtant pour Moscou il s’agissait là d’un axe majeur de la pensée marxiste-léniniste : permettre à tous les Soviétiques de se déplacer, y compris celles et ceux vivant dans les contrées les plus reculées. Pour desservir ces zones au climat souvent hostile Aeroflot ne comptait que sur des avions légers ou moyens à moteurs à pistons : Antonov An-2, Ilyushin Il-14, et Lisunov Li-2. Ces derniers dataient de la Seconde Guerre mondiale et avaient tous connu une carrière militaire auparavant.
Une commission fut alors montée afin de réfléchir aux réponses à apporter.
Elle y mit près de quatre ans et demi. En novembre 1955 le gouvernement soviétique demanda à l’avionneur Antonov de travailler sur un avion de ligne capable de transporter entre 100 et 150 passagers sur des distances moyennes de 900 kilomètres, mais pouvant en réduisant la capacité d’accueil franchir 2000 kilomètres. Le tout en ayant des capacités d’utilisation de terrains sommaires.
N’ayant jamais réalisé un tel avion les designers d’Antonov commencèrent alors par envisager à quoi pourrait ressembler un tel avion. Et rapidement leurs premières ébauches présentaient de grandes similitudes avec l’avion tactique An-8 alors en cours de développement. Le futur avion reçut la désignation d’An-10.
Aux designers se succédaient désormais les ingénieurs qui établirent que pour franchir les 2000 kilomètres exigés par Moscou le futur avion ne devrait pas être bimoteur mais quadrimoteur. Comme pour l’An-8 la solution du turbopropulseur fut acquise immédiatement pour deux raisons principales. Primo le moteur à pistons était passé de mode et secundo aucun réacteur de l’époque n’était jugé assez rustique pour ce genre d’avion. L’esthétique générale de l’Antonov An-10 se dessinait : un An-8 quadrimoteur.
Un prototype fut alors assemblé dans le plus grand secret. Sa motorisation était assurée par des turbopropulseurs Kuznetsov NK-4 développant chacun 3950 chevaux et entraînant une hélice tripale en métal. Mais à peine les essais statiques commencés que les équipes de l’avionneur se rendirent compte que cette propulsion était inadapté à leur An-10. Une commande fut alors passé au motoriste Ivchenko afin qu’il fournisse des AI-20K d’une puissance nominale de 4000 chevaux. Ces turbopropulseurs entraînaient chacun une hélice quadripale. Finalement le premier vol intervint le 7 mars 1957.
Durant un peu plus d’un mois et demi l’Antonov An-10 fut un des secrets les mieux gardés d’URSS. Jusqu’au 1er mai 1957 en fait. Repeint aux couleurs d’Aeroflot le prototype fut exhibé au-dessus de Moscou lors du traditionnel défilé aérien. C’est à cette occasion que les Occidentaux le remarquèrent. Et très vite ils se trompèrent sur sa nature. L’OTAN y voyait un nouvel avion militaire, une sorte de copie locale du Lockheed C-130 Hercules. Sauf qu’en fait il n’en était rien.
Dès ce jour là l’An-10 fut également connu sous le nom de code Cat.
Le 29 avril 1958 le second prototype rata son atterrissage et fut partiellement détruit. Sur cinq membres d’équipage quatre s’en sortirent avec de multiples blessures et le cinquième mourut. C’était un ingénieur d’essais d’Aeroflot.
Les forces de l’OTAN n’étaient pas les seules à s’intéresser à cet Antonov An-10. L’aviation militaire soviétique elle-aussi avait des vues sur lui. Non pas pour en faire un avion capable de transporter 85 passagers sur 2000 kilomètres comme l’annonçait Aeroflot mais pour en dériver une version tactique. C’est ainsi que naquit l’un des plus légendaires avions-cargos de la guerre froide : l’Antonov An-12.
De son côté Aeroflot persistait à vouloir son An-10. La version de série fut désignée An-10A et produite à cent exemplaires qui entrèrent tous en service dans la compagnie étatique soviétique. En outre les forces aériennes soviétiques passèrent commande pour quarante-cinq exemplaires d’une version de transport sanitaire et d’évacuation médicalisée désignée An-10TS. Enfin trois autres avions furent pris en compte par les mêmes forces aériennes soviétiques en configuration de transport d’état-major et de commandement aéroporté.
Entrés en service en février 1959 les Antonov An-10 se révélèrent assez vite capricieux et très gourmand en carburant. Surtout à l’usage l’avion n’était configuré qu’entre 35 et 105 places, très rarement plus. Et son image de marque n’était pas bonne, autant auprès des passagers qui le disaient bruyant et inconfortables qu’auprès des pilotes qui l’estimaient difficiles à tenir en l’air et pis encore à faire atterrir.
Les deux premiers accident d’ailleurs eurent lieu lors de phase d’atterrissage sur verglas à Lviv dans l’actuel ouest ukrainien. Dans les deux cas le bilan humain fut dramatique. Le premier accident survenu en novembre 1959 causa la mort des quarante passagers et membres d’équipage tandis que le deuxième qui survint en février 1960 ne laissa qu’un seul survivant parmi les trente-trois occupants du quadrimoteur. Pourtant Antonov poursuivit la production de son avion.
Et durant toutes les années 1960 il réalisa la desserte de régions très isolées de l’immense territoire soviétique. Des populations très isolées n’avaient que l’Antonov An-10 pour les ravitailler. Il n’était pas rare de les voir voler sous la livrée rouge et blanche, traditionnelle des avions des services polaires d’Aeroflot. Et les militaires dans tout ça ? Ils remirent vite les An-10TS aux autorités civils, ne conservant que la version d’état-major.
À force de pannes et surtout d’accidents à répétition la direction d’Aeroflot décida début 1972 de mettre fin à l’exploitation commerciale de l’avion. Elle le remplaça par deux modèles d’avions à réaction : les Tupolev Tu-134 et Yakovlev Yak-40.
Une vingtaine d’avions encore en état de vol fut versée à la force aérienne soviétique qui les utilisa en configuration 90 places pour transporter des personnels sur des lignes intérieures militaires de moins de 1000 kilomètres.
Avion très mal connu aujourd’hui l’Antonov An-10 fut pour beaucoup de Soviétiques la première expérience aérienne. Il est officiellement crédité par les historiens d’avoir transporté 35 millions de passagers en treize ans d’exploitation commerciale. Avec quatorze accidents ayant causé entre 373 et 380 morts c’est aussi un avion ayant une funeste réputation. Il fut pourtant le précurseur de l’An-12… toujours produit de nos jours en Chine. Et ça, ce n’est pas rien !
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