Peu après le débarquement de Normandie Émile Dewoitine apprit qu’il était recherché par la DGSS, la Direction Générale des Services Spéciaux. À la fois service de renseignement et d’action opérationnelle de la France Libre celle ci traquaient toutes les personnalités reconnues coupables (à divers degrés) de collaboration avec l’occupant nazi. Le chef d’inculpation contre l’ingénieur aéronautique père des chasseurs D.27 et D.520 était alors : «intelligence avec l’ennemi et atteinte à la sûreté extérieure de l’État». Ne souhaitant pas leur rendre de compte il prit sur lui, grâce à ses amitiés vichystes, de quitter la France et de rejoindre l’Espagne où il pourrait continuer ses études et développements sous la protection du dictateur Franco. C’est ainsi qu’il réalisa pour le compte des avionneurs espagnols plusieurs programmes aéronautiques dont le méconnu AISA I-18.
Quand il arrive à l’été 1944 en Espagne l’ingénieur français est accueilli par le doriotiste George Guilbaud qui l’introduit auprès de plusieurs entreprises locales, et notamment de Hispano Aviación puis d’Iberavia. Cette société apparait juste après la Seconde Guerre mondiale et Dewoitine participe à sa fondation. En parallèle il s’introduit auprès de l’Argentine qui a commencé à accueillir de nombreux fuyards de 1945, allemands et autrichiens bien sûr mais également français. L’ingénieur y est reçu avec enthousiasme.
Pourtant il ne largue pas totalement les amarres avec ses relations espagnoles, notamment au sein d’Iberavia. Quand en janvier 1953 sa condamnation par la France à l’indignité nationale et aux travaux forcées est annulée l’avionneur sent qu’il peut rentrer en Europe sans avoir à craindre les agents du SDECE, le Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage. Il se remet alors à travailler conjointement en France et en Espagne. Ses anciennes amitiés franquistes lui permettent de répondre pour le compte d’Iberavia à une fiche programme visant au remplacement des Fieseler Fi 156 Storch alors en service dans l’Ejercito del Aire.
Chez Iberavia le programme prend la désignation d’AVD-12. Dewoitine choisit l’Elizalde Tigre G-IV B afin de l’animer. Ce moteur de facture espagnole à quatre cylindres en ligne développe une puissance de 150 chevaux. Afin de permettre à l’AVD-12 de répondre parfaitement aux exigeances ADAC (pour Avion à Décollages et Atterrissages Courts) de Madrid l’ingénieur français et ses collègues espagnoles crèent une voilure haute cantilever dotées de volets soufflés. Pour le reste l’avion dispose d’un train d’atterrissage tricycle fixe et d’une cabine permettant l’accueil de trois passagers. C’est dans cette configuration qu’il réalise son premier vol le 17 août 1954.
Moins d’un mois après ce vol inaugural Iberavia en proie à des difficultés financières est absorbé la société AISA. À elle alors de poursuivre le développement de l’avion. L‘Iberavia AVD-12 devient alors AISA I-18.
Les dirigeants d’AISA trouvent alors l’ingénieur français à la fois trop sulfureux et intransigeant. Ils décident de se passer de ses services suite à un désaccord autour de problèmes mécaniques au niveau du moteur. Aussitôt Émile Dewoitine renvoyé AISA se tourna vers le motoriste américain Continental et son E225 à six cylindres en ligne d’une puissance de 225 chevaux. Dès le moteur d’origine déposé et remplacé par celui-ci les essais du I-18 reprirent et l’avion vola désormais parfaitement bien. Dewoitine qui s’entêtait à vouloir utiliser un moteur espagnol Elizalde avait donc tort.
En 1955 l’AISA I-18 est mis en compétition officielle face au Casa C-127. À la différence du premier ce second avion n’a alors rien espagnol mais tout d’une version construite sous licence locale. Il s’agissait en fait du Dornier Do 27 ouest-allemand. Et c’est lui qui emporta le marché, recevant la désignation locale de L.9. Le prototype de l’I-18 fut cependant accepté au service en mars 1956 par l’Ejercito del Aires qui lui octroya celle de L.10. Malheureusement pour lui l’avion eut une carrière bien éphémère puisqu’il fut rayé des cadres dès le mois de novembre de la même année suite à un atterrissage raté.
Il fut ensuite envoyé à la casse.
Si ses capacités ADAC étaient indiscutables l’AISA I-18 n’était pourtant pas un avion réussi. La faute en incombait sans doute à un Émile Dewoitine trop inflexible pour sortir des clous du cahier des charges et voir au-delà, ce que firent les décideurs de CASA en proposant le Do 27. Aujourd’hui ce prototype d’avion d’observations et de liaisons est passablement retombé dans l’oubli, y compris de l’autre côté des Pyrénées.
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