L’imagerie populaire a souvent fait des avions de la Première Guerre mondiale des machines fragiles et légères mal pensées. Rien n’a jamais été aussi moins vrai en aéronautique. Malgré des assemblages en bois entoilé la plus part des avions de 14/18 étaient des mécaniques de précision et parfois même des aéronefs bien plus complexes qu’il ne pouvait y paraître. Un des exemples les plus frappants vint d’Allemagne avec le bombardier lourd demeuré à l’état de prototype AEG R.I.
Lorsque l’on aborde le cas des bombardiers lourds allemands on pense invariablement aux avions classés G par l’Idflieg comme par exemple le Friedrichshafen G.III, le Gotha G.IV, ou encore le Rumpler G.III. Pourtant c’est oublié un peu vite les avions de la classe R, les fameux Riesenflugzeug. C’est à dire en traduction littérale les avions géants ! Tout comme leurs ennemis britanniques et français les ingénieurs allemands tentèrent de développer de tels avions au travers de programmes devant permettre de bombarder loin. Et sur ce plan là les équipes de chez Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft à Berlin virent vraiment grand et particulièrement novateur quand fin 1915 ils débutèrent les travaux de l’avion connu comme R.I. Les autorités impériales allemandes en avaient commandé deux prototypes et cinq premiers avions de série alors même que seuls des plans leur avaient été présenté. Il faut dire que ses caractéristiques étaient alors révolutionnaires.
Sur le papier l’AEG R.I était capable de parcourir 1200 kilomètres avec une charge offensive de 4000 kilogrammes et un équipage de sept membres. À l’époque seuls les dirigeables pouvaient disposer d’une telle capacité de bombardement, tout en représentant des cibles de choix pour les chasses belges, britanniques, et françaises. L’un des secrets des ingénieurs d’AEG était de cacher les quatre moteurs de l’avion dans son fuselage et de transmettre la force mécanique générée aux hélices via à des arbres eux même asservis à des boites de vitesse. Selon les ingénieurs ce principe devait permettre des vols plus longues distance.
Si les moteurs étaient de très classiques et bien connus Mercedes D.IVa à six cylindres en ligne d’une puissance unitaire de 260 chevaux c’était leur montage en tandem qui posa le premier problème. Mais celui-ci n’était en fait rien vis-à-vis de celui qui consistait à développer les arbres de transmission les reliant aux hélices bipales en bois montées de manière classiques entre les deux plans de voilures du bombardier. Pour le reste, et en dehors de ses dimension hors normes, l’AEG R.I était un avion finalement assez conventionnel. Biplan doté d’un train d’atterrissage classique à roues montées deux par deux à l’avant le R.I était de manière très académique construit en bois entoilé et contreplaqué. Outre sa charge de bombes contenue à la fois en soutes mais aussi sous voilure ce sont ses cinq postes de tirs dotés chacun d’une mitrailleuse MG de calibre 7.92 millimètres qui impressionnaient. En outre sa hauteur au sol de 6 mètres 35 et ses deux hélices d’un diamètre unitaire de 5 mètres 20 terminait l’impression de gigantisme absolu. Et ce sans compter les 2750 litres de carburant et les 875 litres d’huile qu’il emportait. À tous les niveau il s’agissait là d’un géant des airs. D’ailleurs les ouvriers et techniciens qui l’assemblaient l’avaient surnommé « Himmelsgebäude« , ce qui littéralement se traduit pas l’immeuble du ciel.
Finalement le prototype fut totalement assemblé à la fin du printemps 1916. Il vola pour la première fois, désarmé, en juillet de la même année. Selon les récits de l’époque l’AEG R.I était tout sauf un avion agréable à piloter et à faire tenir en l’air. Ses quatre moteurs montés dans le fuselage faisaient vibrer l’ensemble de l’avion. AEG reçut l’ordre de revoir en profondeur l’avion. Une structure interne en tubes d’acier vint renforcer le fuselage tandis que de nouvelles hélices quadriplales de même diamètre firent leur apparition. Les essais en vol reprirent en novembre 1917. Et cette fois ils se passèrent nettement mieux, au point même que le second prototype soit assemblé de la sorte. Dans un empire allemand en guerre et très isolé les travaux d’assemblage du R.I étaient longs et fastidieux. Pourtant les essais de l’avion, classé ultra secrets, étaient une priorité pour les généraux.
C’est dans une configuration armée que le 3 septembre 1918 l’avion décolla. La charge offensive était remplacée par des bombes factices mais représentait tout de même 3800 kilogrammes de charge. Les mitrailleuses étaient quant à elles bien réelles. Le décollage se passa sans le moindre souci. Cependant au bout d’une vingtaine de minutes de vol l’avion subit de graves avaries au niveau de sa structure même et de disloqua avant de s’écraser. Les sept hommes à bord du R.I furent tués sur le coup. Les enquêteurs et ingénieurs allemands établirent alors qu’il s’agissait d’un enchaînement débuté avec une colle industrielle utilisée sur l’hélice droite qui entraina en cascade l’arrachage des arbres de transmission et enfin la rupture structurelle de l’avion. Selon leur rapport il était impossible pour les pilotes de reprendre le contrôle du prototype. Des efforts furent alors apportés sur le second prototype.
Malheureusement pour l’AEG R.I l’assemblage n’alla pas assez vite. Alors que ce second prototype était prêt à 90% l’Allemagne signa l’armistice avec la France et la Grande Bretagne. La guerre était finie. Le désarmement allemand avait été lancé. Les programmes de développement comme le sien étaient tous annulés. Les cinq avions de série n’eurent même pas le temps d’atteindre l’étape de la chaîne d’assemblage. Des ingénieurs américains, britanniques, et français se penchèrent alors sur ses plans et en conclurent que si le R.I avait tout d’un avion hyper novateur il représentait aussi un défi technologique très complexe, sans doute trop en temps de guerre.
Il ne reste de nos jours plus rien de cet avion qui sur bien des points préfiguraient des bombardiers qui allaient voir le jours plusieurs décennies plus tard aux États-Unis : les Boeing B-29 Superfortress et Convair B-36 Peacemaker. Comme eux l’AEG R.I était à la fois un concentré de gigantisme, d’audace, d’innovation technologique, le tout mis au service de la guerre.
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