L’Histoire de l’aéronautique est jalonnée d’avions, d’hydravions, et d’hélicoptères qui la marquèrent durablement et permirent de mieux l’appréhender. Des origines dans les années 1890-1910 jusqu’à la toute fin du XXe siècle ils sont autant de points de repères qui permettent de mieux comprendre ses évolutions technologiques. Aussi quand peu après la Seconde Guerre mondiale l’industrie soviétique créa le biplan Antonov An-2 ce fut une évolution marquante mais aussi un des premiers anachronismes réellement importants dans cette même Histoire de l’aviation. L’avionneur insista au lendemain même de la guerre froide avec la certification d’un avion qui représente à lui tout seul un choc des générations : l’Antonov An-3.
Véritable mule volante, bonne à tout faire de l’aviation soviétique l’An-2 demeurait au début des années 1970 l’avion de brousse numéro 1 en URSS. Observant ce qui se passait alors à l’Ouest, et notamment au Canada autour du De Havilland Canada DHC-3 Otter modifié dès 1963 afin de recevoir un turboproprulseur en lieu et place de son moteur à pistons, les ingénieurs d’Antonov eurent l’idée d’en faire autant. Pas question évidemment de demander à Pratt & Whitney de leur fournir son PT6 ils auraient recours à une motorisation d’origine locale. L’industrie soviétique maîtrisait alors parfaitement la technologie des turbopropulseurs, avec notamment les Ivchenko AI-20 et AI-24 équipant respectivement les Ilyushin Il-18 et Antonov An-24. Pour autant elle peinait parfois à en proposer des modèles de puissance moyenne, n’en ayant qu’un seul en stock le TVD-10B construit par Glushenkov et conçu pour le petit An-28.
Antonov demanda alors au motoriste d’en dériver une version destinée à être unique sur l’avion ce qui donna naissance TVD-20A. Désormais les travaux pouvaient réellement commencer afin d’améliorer l’An-2. L’avionneur affecta au nouvel appareil la désignation d’An-3. Si certains militaires soviétiques croyaient alors en cet avion il en était tout autrement des dirigeants d’Aeroflot, alors principal client du constructeur. Du fait de cette réticence du transporteur publique étatique les fonds liés au développement de ce nouvel avion furent minimales, parfois même totalement ridicules. Si en 1973 Moscou affecta bien une enveloppe de 100 000 roubles pour l’An-3 celle ci fut ramenée à (seulement) 25 roubles quatre ans plus tard. Dans les faits l’An-3 est souvent considéré comme le premier avion conçu principalement sur fonds propres par son constructeur en URSS. Une aberration quand on connait le système économique soviétique.
Le 13 mai 1980 le prototype de l’Antonov An-3 réalisa son premier vol depuis les usines du constructeur à Hostomel. Il portait alors une livrée Aeroflot totalement fantôche. Malgré de bonnes qualités de vol le programme suscitait toujours aussi peu d’engouement dans une URSS désormais empêtrée dans des problèmes financiers de plus en plus fréquents. De leur côté les services de renseignement américains n’identifièrent ce prototype qu’en 1984 et fait étonnant l’OTAN refusa de lui attribuer un nom de code, estimant qu’il ne s’agissait que d’un An-2 modifié pour essais.
Dans les faits on ne pouvait alors pas leur donner tort. Quand en novembre 1989 le mur de Berlin tomba et que le mois suivant le dictateur roumain Nicolae Ceaușescu fut renversé et tué le bloc communiste s’effondra comme un château de cartes. L’URSS vacilla puis disparut à son tour. À Hostomel l’Antonov An-3 continuait ses essais en vol. L’aviation civile soviétique n’eut pas le temps de le certifier qu’elle avait été dissoute. L’Ukraine ayant voté son indépendance le biplan turbopropulsé n’était plus soviétique mais ukrainien. L’une des premières décision de cet alors jeune état post-soviétique fut justement la certification en 1991 de l’avion. Il devint ainsi le premier avion ukrainien !
Cependant rien n’était encore fait pour sa commercialisation, les clients habituels de l’URSS craignaient alors fortement l’instabilité endémique des économies russes et ukrainiennes. Quelques compagnies aériennes de pays naissant des cendres soviétiques firent par de leur intérêt la version turbinisée de l’An-2. Pourtant aucune ne conclut jamais de contrat, au point même qu’en 1995 on pensa l’Antonov An-3 définitivement enterré.
Finalement l’avionneur s’accrocha et fit voler en septembre 1998 un An-3T de présérie. Il s’agissait d’une version de transport mixte passagers et fret capable de transporter entre dix et douze passagers ou bien jusqu’à 1800kg de charge marchande. À la même époque le constructeur ukrainien envisagea des sous-versions d’épandage agricole et de lutte anti-incendie. Une étude fut même lancée afin de développé une version turbinisée de l’hydravion An-4 Colt-C. Malheureusement cet hydravion à flotteur tourna court.
La commercialisation de l’An-3 débuta à l’été 1999.
C’est pourtant véritablement en mars 2000 que la carrière de l’avion décolla. Cette année là le ministère russe des situations d’urgence passa commande pour vingt-huit avions afin de renforcer ses moyens de transport léger. Ces avions entrèrent en service à partir de la fin de la même année. Trois ans plus tard le gouvernement russe demanda à l’avionneur ukrainien de développer une version dédiée aux opérations polaires, avec un train à skis et une cabine pressurisée et chauffée. Ces équipements ramenèrent la capacité de transport à entre huit et dix passagers ou 1250 kilogrammes maximum de charge marchande. Il fut alors connu comme An-3PK et permis le remplacement des vieux An-2PK datés du début des années 1950.
En 2013 le ministère russe des situations d’urgence voulut renouveler son contrat en commandant onze avions supplémentaires afin de remplacer ses vieux Antonov An-14 issus de l’époque soviétique. Malheureusement la décision l’année suivante du Kremlin d’envahir et d’annexer la presqu’île ukrainienne de Crimée fit capoter l’affaire. Kyïv rompit immédiatement ses relations avec Moscou et ordonna à Antonov d’en faire de même. Quelques exemplaires furent encore vendus à des clients ex-soviétiques non russes avant que la production ne soit mise à l’arrêt temporaire en 2018. Il était alors prévu de la relancer à l’été 2022. Malheureusement les bombardements des usines Antonov de Hostomel quelques semaines plus tôt par l’aviation russe l’empêchèrent.
L’avenir de l’Antonov An-3 n’est pas clair du tout, en grande partie en raison de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Cette dernière a d’ailleurs lancé la production d’une copie amélioré de cet avion baptisé SibNIA TVS-2 faisant grandement appel aux matériaux composites et disposant d’une voilure biplan de nouvelle génération.
À l’instar du Viking Turbo Beaver canadien l’Antonov An-3 a démontré que la remotorisation avec turbopropulseur d’un avion de brousse pouvait parfaitement fonctionner. Il s’agit cependant d’un marché de niche.
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