L’année 1919 a vu non seulement le monde redécouvrir la paix après quatre années de guerre et d’horreur mais pas uniquement. L’industrie aéronautique va enfin pouvoir s’ouvrir au domaine commercial, au transport de passagers. Il est alors, assez logiquement, réalisé par d’anciens bombardiers démilitarisés et aménagés afin d’accueillir entre deux et trois passagers. Les Airco DH.4 et DH.9 britanniques sont alors parmi les principaux avions en question. Pourtant en Allemagne l’ingénieur de 60 ans Hugo Junkers a une idée bien plus géniale que ses homologues des pays vainqueurs du conflit : concevoir un avion commercial totalement neuf. Et le fruit de son travail va se révéler révolutionnaire sous la forme du Junkers F-13.
En fait dès l’année 1916 et le premier vol quelques semaines plus tôt de son Junkers J-1 expérimental l’ingénieur allemand avait dans l’idée de construire un avion à vocation civil totalement métallique. Sauf que les autorités impériales allemands s’y opposèrent immédiatement, lui rappelant que l’ensemble des travaux aéronautiques devaient être voués à l’effort de guerre. C’est pourquoi Hugo Junkers ravala sa fierté et remit de côté son idée. Désormais la paix revenue il comptait bien donner vie à son idée.
En février 1919 il se mit en tête d’assembler un prototype sous la désignation de F-13.
Afin de faire des économies l’ingénieur décida d’utiliser un moteur à six cylindres en ligne Mercedes D.IIIa d’une puissance de 170 chevaux qui se trouvait déjà dans ses stocks. En fait ce moteur avait servi sur la chaîne d’assemblage des biplaces de reconnaissance et d’appui Junkers CL.I construits en petite série.
Pour le reste le Junkers F-13 était totalement novateur, révolutionnaire même sur certains points. Par exemple cet avion n’était pas une berline, c’est à dire un appareil sur lequel le poste de pilotage à l’air libre n’était plus placé derrière la cabine passagers mais bien devant elle. Même si le cockpit n’était toujours pas fermé il possédait déjà une forme carénée permettant de protéger le pilote et le copilote-navigateur. Dans le même temps si le F-13 conservait le train d’atterrissage classique fixe se terminant par un patin de queue comme la majorité des avions de son temps il était cependant monoplan à aile basse cantilever quand les autres étaient surtout des biplans. Mais surtout la partie révolutionnaire de sa conception provient du métal.
Son prototype vola le 25 juin 1919 après seulement quelques semaines de développement.
Par rapport à tous ses concurrents issus d’avions militaires et utilisant une architecture en bois entoilé le Junkers F-13 marquait donc vraiment les esprits. Les amortisseurs de son train d’atterrissage l’autorisaient à évoluer aussi bien sur des terrains en herbe que sur les premières pistes en dur. Les premières versions de série F-13a possédaient un moteur à six cylindres en ligne BMW IIIa de 185 chevaux et un Junkers L2 à quatre cylindres en ligne de 200 chevaux sur les versions F-13b, F-13c, et F-13d. Quelques exemplaires furent rétrofités à partir de 1923 au standard F-13be, F-13ce, et F-13de avec des moteurs Junkers L5 à six cylindres en ligne de 310 chevaux.
Des modernisations eurent également lieu autour de moteurs BMW IV et BMW Va, tous deux à six cylindres en ligne. De même quelques exemplaires furent marginalement remotorisés au début des années 1930 avec des moteurs à neuf cylindres en étoile.
En Belgique le SNETA, le Syndicat National d’Étude des Transports Aériens, fut un des premiers utilisateurs commerciaux de l’avion. Ses Junkers F-13 demeurèrent sous ses couleurs jusqu’en 1923, année de sa disparition suite à la fusion avec le Comité d’Étude pour la Navigation Aérienne du Congo afin de donner naissance à la SABENA. Celle-ci fit voler les F-13 belges jusqu’en 1925, les remplaçant par des biplans bimoteurs Farman F.60 Goliath d’origine française.
Par ailleurs des Junkers F-13 volèrent au sein de compagnies aériennes allemandes, autrichiennes, boliviennes, brésiliennes, britanniques, bulgares, canadiennes, colombiennes, espagnoles, estoniennes, finlandaises, françaises, hongroises, italiennes, iraniennes, lettonnes, polonaises, soviétiques, sud-africaines, suédoises, suisses, ou encore turques.
Quelques pilotes de légendes volèrent un temps sur Junkers F-13, à l’image de l’aviateur canadien Wilfrid May.
À l’été 1919 à la demande de l’US Post Office qui comptait acquérir huit avions modifiés pour du transport de courrier l’homme d’affaire et aviateur amateur John M. Larsen obtint de Hugo Junkers une licence de production américaine du F-13. L’avion fut produit outre-Atlantique sous la désignation de Larsen JL-6 (JL pour Junkers Larsen) bien au-delà des exemplaires demandés par la poste américaine. Larsen assembla un total de vingt-sept JL-6 dont deux furent utilisés comme avions de transport de hautes personnalités par l’US Navy entre 1920 et 1925. Tous les JL-6 étaient animés par un moteur BMW IIIa de 185 chevaux.
L’US Navy ne fut pas le seul utilisateur militaire de l’avion allemand. On en trouva sous les cocardes afghanes, argentines, autrichiennes, bulgares, chiliennes, chinoises, colombiennes, finlandaises, hongroises, islandaises, lituaniennes, mexicaines, mongoles, roumaines, soviétiques, sud-africaines, suédoises, et turques. Durant la guerre civile espagnole au moins un Junkers F-13 civil, sans doute français, fut utilisé pour des missions de liaisons et de reconnaissance par la résistance républicaine. Il semble avoir été abattu avant la fin des hostilités.
Avion à vocation avant tout civil le Junkers F-13 connut donc une belle carrière militaire jusqu’à la fin des années 1930. Il donna naissant à une version agrandie nommée F-24 et à une version améliorée W-33. La production totale du F-13 fut de 322 exemplaires en Allemagne, auxquels il convient d’ajouter les vingt-sept avions américains.
Il faut souligner que les autorités britanniques et françaises n’intégrèrent jamais cet avion dans les restrictions du Traité de Versailles du 28 juin 1919, permettant ainsi sa large diffusion.
Appareil essentiel à l’histoire de l’aviation civile le Junkers F-13 fut donc novateur dès son apparition. Il permit aussi de confirmer Hugo Junkers comme un des plus grands concepteurs d’aéronefs de la première moitié du vingtième siècle.
De nos jours des F-13 sont préservés au Deutsches Technikmuseum de Berlin, au Tekniska Museet de Stokholm, ou encore au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget près de Paris.
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