Quand elle fit son apparition au début des années 1910 l’arme aérienne fut tout d’abord cantonnée principalement à une recherche du renseignement. En cela les aéroplanes remplaçaient les montgolfières utilisées depuis le dernier quart du 19e siècle. Puis petit à petit de simples observateurs ils se sont mués en véritables espions du ciel, grâce notamment à la Première Guerre mondiale. Dans les premières années du conflit l’Aéronautique Militaire Française utilisa surtout des machines civiles militarisées à la va-vite telles les Blériot XI et Deperdussin T. Assez paradoxalement alors que la production française était massive et de qualité c’est un avion de facture britannique qui permit à l’aviation tricolore de progresser grandement dans la reconnaissance aérienne : le Sopwith 1 1/2 Strutter.
Pourtant cet avion commença son aventure comme une machine purement britannique. C’est à l’été 1915 que les équipes de l’avionneur Sopwith commencèrent à travailler sur un avion d’utilisation générale destiné au Royal Flying Corps. Il fut désigné LCT, pour Land Clerget Tractor signifiant ainsi qu’il s’agissait d’un aéroplane terrestre doté d’un moteur français Clerget à hélice tractive.
Le LCT s’appuyait sur le Bus, un prototype réalisé sur fonds propres par l’ingénieur Frederik Sigriest quelques semaines plus tôt. Le Sigriest Bus n’avait pas attiré la moindre attention.
En ce mois d’août 1915 le Clerget 9B était le moteur rotatif à neuf cylindres en étoile le plus perfectionné disponible sur le marché. Bien que développé et produit en France il pouvait parfaitement être assemblé sous licence locale par l’entreprise automobile anglaise Gwynnes Limited dans son usine de Londres. Sopwith sélectionna donc ce moteur jugé sûr et bon marché.
Officiellement désigné Sopwith Model 9400 l’avion reçut le sobriquet de «Sopwith One and Half». Il s’agissait d’une référence aux montants permettant de relier le plan supérieur de voilure au fuselage et ainsi de faire supporter le premier par le second. Grossièrement cela donnait un air de W. En accord avec le Royal Flying Corps l’avionneur décida de conserver ce surnom et de baptiser son appareil Sopwith 1 1/2 Strutter.
Sa qualité d’avion d’utilisation générale en faisait aussi bien une machine d’observation, que de reconnaissance armée, voire de bombardement léger. Ce concept existait déjà en Grande Bretagne, au travers notamment des Royal Aircraft Factory BE.2. Pourtant Sopwith modernisa passablement le concept.
Les premiers Sopwith 1 1/2 Strutter entrèrent en service au sein du Royal Flying Corps en avril 1916.
Extérieurement cet avion se présentait sous la forme d’un biplan d’envergure égale construit en bois et toile et doté d’un train d’atterrissage classique fixe. Le pilote et l’observateur prenaient place dans deux cockpits séparés, tous deux à l’air libre. Ce dernier servait la mitrailleuse Lewis de calibre 7.7 millimètres montée sur affût annulaire mobile tandis que le pilote disposait d’une mitrailleuse de calibre identique conçu par Vickers et utilisant la technologie française du tir synchronisée. Une charge de bombes de 60 kilogrammes pouvait être emportée par chaque 1 1/2 Strutter.
De manière assez étrange la carrière de ce biplan de reconnaissance armée fut des plus courtes au sein du Royal Flying Corps et du Royal Naval Air Service. Cela était dû en réalité à l’arrivée progressive de l’Armstrong Whitworth FK.8 et surtout du Royal Aircraft Factory RE.8 jugés bien plus adaptés par le haut état-major britannique. À la création de la Royal Air Force, en avril 1918, la majorité avait déjà quitté le service. Beaucoup furent par la suite versés à différentes nations alliées de la Triple Entente.
C’est en fait en France, sous les couleurs de l’Aéronautique Militaire, que le Sopwith 1 1/2 Strutter se tailla une réputation hors du commun. Il n’était pas rare que des avions de facture française volent sous cocarde britannique, et vice-versa avec les avions britanniques.
C’est en mai 1916 que les premières escadrilles de reconnaissance française acceptèrent au service leurs Sopwith 1 1/2 Strutter. Les 1000 premiers avions furent bien fabriqués au Royaume-Uni avant que l’avionneur français REP n’acquière la licence de production locale. Désormais les biplans britanniques pouvaient être livrés plus rapidement, et Sopwith put se concentrer sur d’autres machines, notamment ses chasseurs. Le jeune constructeur Lioré-et-Olivier assura aussi cette production française
Outre les Blériot XI et Deperdussin T déjà cités les Strutter permirent en France d’uniformiser un minimum les missions de reconnaissance en assurant la relève des Farman MF-11 et Voisin Type VII. Désormais les escadrilles françaises volaient toutes sur le même modèle d’avion d’observation et de reconnaissance, ou presque.
Trois versions différentes de l’avion servirent durant la Première Guerre mondiale au sein de l’Aéronautique Militaire Française : le biplace d’observation Strutter 1A2, le monoplace de reconnaissance armée Strutter 1B1 construit en très petite série, et le biplace de reconnaissance armée Strutter 1B2. C’est cette dernière qui était la plus fréquente dans les unités françaises. Les marquages d’empennage de ces avions étaient SOP, pour Sopwith y compris pour les machines produites en France. Bien que sa production dura jusqu’en décembre 1918, c’est à dire au-delà de l’Armistice, le Strutter ne demeura pas le principal avion de reconnaissance français jusqu’à la fin du conflit. Ce statue lui fut ravi au printemps 1918 par le Salmson 2A2 qui commença à le remplacer ainsi que le Dorand AR.
Après guerre plusieurs Strutter 1A2 et 1B2 furent transformés en Strutter 1E2 d’entraînement intermédiaire et avancé. Ils demeurèrent en service dans les écoles d’aviation française jusque fin 1922.
La production globale du Sopwith 1 1/2 Strutter atteignit 6150 exemplaires. Au total 1440 servirent sous cocarde britannique, 4505 sous cocarde française, et les 205 autres machines furent versés à cinq pays : Australie, Belgique, États-Unis, Japon, et Russie impériale. Une partie des avions de cette dernière se retrouvèrent ensuite dans les rangs de l’aviation soviétique, mais aussi des aviations estoniennes, lettonnes, lituaniennes, et ukrainiennes.
Entre 1918 et 1921 la jeune Royal Air Force vendit des Strutter de seconde main au Brésil, à la Grèce, au Mexique, aux Pays-Bas, à la Pologne, et à la Roumanie. Une fois retirés du service une cinquantaine de Strutter 1E2 furent versés à des écoles civiles françaises, autant pour la formation des pilotes que celle des mécaniciens.
Étonnamment le Sopwith 1 1/2 Strutter n’a rien de mythique outre-Manche alors qu’il est régulièrement célébré par les historiens spécialistes français. Il s’agit pourtant du premier avion britannique disposant d’un moteur en étoile à hélice tractive à avoir été construit en grande série en Grande Bretagne. Il est d’ailleurs symptomatique qu’alors que l’avion est préservé et exposé au sein de la Grande Galerie du Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget aucun musée d’importance au Royaume-Uni n’en propose à ses visiteurs. Seul un exemplaire existe en Écosse, reconstruit à partir de trois avions différents.
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