Les deux premières années de la Première Guerre mondiale virent un total développement de l’industrie aéronautique militaire dans des pays comme l’Allemagne, la France, ou encore la Grande Bretagne. Pourtant des pays alors plus mineurs s’y essayèrent à l’image de l’empire austro-hongrois, de l’Italie, ou encore de la Russie tsariste. Au sein de cette dernière les aventures technologiques dans ce domaine étaient rare tant le pays accusait un retard industriel flagrant sur les autres pays européens. Pourtant quelques programmes réussirent à voir le jour avant la révolution rouge d’octobre 1917. L’un d’entre eux concerna un hydravion de reconnaissance construit en série respectable : le Grigorovich M-5.
Entre 1910 et 1912 le jeune ingénieur aéronautique russe Dmitry Grigorovich émigra à Paris afin de travailler au sein de la Société des Établissements Donnet-Denhaut. Cette entreprise alors sise à Neuilly-sur-Seine en proche banlieue ouest de la capitale était spécialisée dans l’étude et le développement d’hydravion légers. Grigorovich put même travailler au développement de l’un d’entre eux directement sous l’autorité de Jérôme Donnet. Au bout de deux ans ils se décida à rentrer à Kiev, ville se trouvant alors dans l’empire russe.
Dmitry Grigorovich comptait bien appliquer les techniques apprises en France. Il se lança alors dans le développement de son premier propre hydravion : le M-1.
Malheureusement cette machine volant pour la première fois en novembre 1913 n’eut jamais le succès escompté. Les sous-versions qu’il en dériva furent tout autant des échecs : le M-2 et le M-3 ne dépassèrent pas la planche à dessins tandis que le M-4 étudié après le déclenchement de la Première Guerre mondiale ne suscita aucun intérêt du fait de son orientation purement civile.
Dmitry Grigorovich n’en démordait pas : la Russie avait les moyens de produire en série des hydravions. Ses efforts avaient attiré l’attention du palais de l’Ermitage et l’ingénieur fut convoqué par le tsar Nicolas II à Saint Petersbourg. Il lui confia la mission de développer un hydravion de reconnaissance côtière destinée à la marine impériale.
Ainsi naquit dans la tête de l’ingénieur le Grigorovich M-5. Il avait carte blanche pour le développement de son hydravion. Dmitry Grigorovich décida de poursuivre sa collaboration avec le motoriste français Gnome qui lui avait déjà animé ses prototypes M-1 et M-4. Il choisit le moteur type B-2 à neuf cylindres rotatifs d’une puissance de 105 chevaux entraînant une hélice propulsive bipale en bois. Pour le fuselage de son appareil l’ingénieur fait appel à une coque à fond plat plus facile d’usinage mais obligeant à l’emploi depuis un plan d’eau peu agité. L’assemblage de la voilure en biplan d’envergure inégale fait appel à la technique du bois entoilé. Les deux membres d’équipage prennent place dans un poste de pilotage à l’air libre, l’observateur servant l’unique mitrailleuse Vickers de facture britannique de calibre 7.7 millimètres.
Le prototype réalisa son premier vol en avril 1915. Immédiatement la marine impériale russe passa commande pour soixante-dix exemplaires. Dmitry Grigorovich avait gagné son pari !
Les premiers exemplaires entrèrent en service dans la flotte de la Mer Baltique dès l’été 1915. À la fin de la même année de tels hydravions volaient déjà dans l’extrême orient russe autant qu’en Mer de Barents. Leur mission principale était la traque des bâtiments de guerre allemands. En Mer Noire ils affrontaient régulièrement la flotte ottomane ne disposant elle d’aucun aéronef. Début 1916 le ministre russe de la guerre décida de commander sans limite le Grigorovich M-5 tout en demandant à l’avionneur de développer des versions améliorées.
Les deux plus gros défauts de l’hydravion était alors sa coque à fond plat et son rayon d’action parfois jugé un peu court. Les missions hauturières lui étaient interdites.
Les Grigorovich M-6, M-7, et M-8 ne dépassèrent pas le stade expérimentale en raison de résultats décevants tandis que le M-9 taillé pour la chasse n’atteignit lui même pas la phase d’assemblage. La raison était simple : le pouvoir impérial était tombé ! La révolution d’octobre 1917 était passée par là. À Kiev Dmitry Grigorovich fut comme tous les autres sommé de choisir : le marxisme ou la mort pour trahison du peuple. Il devint soviétique.
Début 1918 il reprit ses études et développa le biplace d’entraînement désarmé M-10.
La jeune Union Soviétique cherchait un maximum d’aéronefs pour affronter les Russes Blancs, les contre-révolutionnaires demeurés fidèles au régime de Nicolas II et cherchant à renverser le pouvoir de Lénine et de ses camarades. C’est ainsi qu’on trouva des hydravions M-5 dans les deux camps.
Quand la production de l’hydravion s’arrêta en 1919 plus de 300 exemplaires avaient été construits et la majorité volait désormais pour le compte des Soviétiques. L’ironie du sort voulut que le M-5 laissa la place au M-9. Rien à voir avec l’hydravion de chasse n’ayant pas dépassé la table à dessins il s’agissait désormais d’un hydravion patrouilleur très efficace. Plus que le M-5 et ses nombreux défauts. Surtout le M-9 était un hydravion soviétique et non russe.
Premier hydravion militaire conçu en Russie et premier hydravion utilisé par l’aéronavale soviétique alors naissante le Grigorovich M-5 ne fut pourtant pas le plus réussi des aéronefs de son temps. Trop lent, trop faiblement armé, disposant d’un rayon d’action trop court il permit pourtant aux Russes puis aux Soviétiques de défricher un domaine de vol où ils allaient exceller quelques décennies plus tard avec notamment l’avionneur Beriev.
Il est à signaler que le Grigorovich M-5 ne doit pas être confondu avec le Macchi M.5, même si tous deux furent des hydravions biplans de la Première Guerre mondiale.
De nos jours un seul Grigorovich M-5 est connu dans le monde, un exemplaire préservé dans un musée d’Istanbul en Turquie. Il arbore une livrée ottomane. Il s’agit d’un appareil capturé près du Bosphore en 1918.
En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.