Durant l’entre-deux-guerres les ingénieurs du monde entier réussirent à peaufiner la technologie des hydravions à coque. Ces aéronefs passèrent du frêle biplan monomoteur entoilé à de puissants quadrimoteurs construits en métal et capable de franchir l’Atlantique nord ou le Pacifique. Si généralement on pense aux États-Unis, au Japon, ou encore au Royaume-Uni quand on aborde le cas de ces machines il ne faut cependant pas fermer la porte à d’autres pays comme l’Union Soviétique. Dans cette dernière des ingénieurs de talent comme Georgy Mikhailovich Beriev ou encore Igor Chyetverikov mirent au point de telles engins, souvent à vocation militaire. Pour ce dernier le plus réussi de ses hydravions à coque fut sans nul doute le Chyetverikov MDR-6 de reconnaissance côtière.
C’est en 1935 que l’état-major moscovite lança un programme visant à la dotation d’un hydravion de reconnaissance côtière à long rayon d’action. Son but n’était pas de voler loin au large des côtes soviétiques mais longtemps en longeant le littoral. La crainte des Soviétiques était encore l’intrusion de forces hostiles au régime communiste.
Trois constructeurs y répondirent : Beriev, Chyetverikov, et Tupolev.
Cependant après la mésaventure du MDR-4 qu’il fallait justement remplacer le dernier de ces avionneurs fut écarté. La compétition se jouait donc entre le Beriev MS-5 et le Chyetverikov Che-2. Et très vite l’aventure technologique tourna en faveur de ce second avion qui vola en décembre 1937 tandis que l’appareil de Beriev prit un certain retard, ne réalisant son premier vol qu’en mai 1938.
Les deux aéronefs reçurent les désignations respectives de Beriev MDR-5 et Chyetverikov MDR-6. À l’été 1938 finalement c’est ce dernier qui fut commandé en série, les amiraux soviétiques le jugeant bien plus avancé que le MDR-5.
Il faut dire que sur ce Chyetverikov MDR-6 les designers et ingénieurs avaient réellement fait du bon travail. D’une esthétique léchée l’hydravion disposait de véritables avancées en matière d’aérodynamisme autant que d’hydrodynamisme. La coque mais aussi les flotteurs de voilure avaient été pensé pour permettre une flottaison améliorée et des points d’ancrage permettaient la fixation de roues afin d’améliorer les déplacement des MDR-6 sur la terre ferme. Pour autant il ne s’agissait pas d’aéronefs amphibies, ces roues n’ayant rien d’un train d’atterrissage. Tandis que le prototype avait volé avec deux Shvetsov M-25 en étoile de 740 chevaux identiques à ceux des chasseurs monomoteurs Polikarpov I-15 Bis la version de série MDR-6A disposait de Shvetsov M-63 plus puissants, portés chacun à 1115 chevaux.
Son architecture générale d’hydravion à coque monomoteur à aile haute et empennage double-dérive était très moderne pour l’époque, notamment en URSS. À l’instar des meilleures machines allemandes ou britanniques de son temps le Chyetverikov MDR-6A était de construction entièrement métallique.
Son armement se composait d’une mitrailleuse mobile ShKAS de calibre 7.62mm installée en tourelle avant, d’une seconde mitrailleuse mobile de modèle UBT et de calibre 12.7mm en tourelle dorsale ainsi que d’une charge offensive de 1000 kilos installée dans une soute de fuselage et sous points d’emport de voilure. Celle-ci se composait aussi bien de bombes que de charges de profondeur ou encore de mines antinavires.
Malgré cette première commande de vingt machines les livraisons du Chyetverikov MDR-6A tardèrent beaucoup. C’était malheureusement monnaie courante à cette époque en URSS. Igor Chyetverikov et ses équipes décidèrent de lancer plusieurs sous-versions comme les MDR-6B-1 et MDR-6B-2 avec de nouvelles motorisations. Tant et si bien que les premiers MDR-6A n’entrèrent pas en service dans l’aéronavale soviétique avant l’été 1941. Ils furent immédiatement affectés à des missions de patrouilles côtières le long de la Baltique et en Mer de Barents. Le but de leurs vols fut rapidement de détecter la présence de sous-marins allemands en maraude dans la zone.
Bien que pouvant mener des missions de patrouilles de dix heures à une vitesse de croisière de 220 kilomètres-heures le Chyetverikov MDR-6A avait un gros défaut : il était particulièrement exigu. En temps normal cela n’aurait gêné personne à Moscou où ce genre de considération n’intéressait pas les dirigeants soviétiques mais le fils d’un membre du bureau politique du parti communiste était pilote sur cet hydravion et il en avisa son père.
Une délégation officielle quitta Moscou au début 1942 et essaya l’hydravion bimoteur. Et en effet malgré ses qualités ce MDR-6 manquait cruellement de confort pour des missions aussi longues. Aussi la commande envisagée pour cent appareils supplémentaires fut annulée et reportée sur des Beriev MBR-2 au rayon d’action bien moindre.
La marine soviétique n’utilisa donc que vingt Chyetverikov MDR-6A en temps de guerre. Mais il lui fallait impérativement combler le vide en matière d’exemplaires et les MBR-2 aussi réussis fussent-ils ne pouvaient pas assurer cela. Le coup de chance pour l’URSS vint de l’entrée en guerre quelques mois plus tôt des États-Unis et du vote par le Congrès américain de la loi de Prêt-Bail. Au titre de celle-ci l’URSS perçut un total de cent quatre-vingt-trois hydravions Naval Aircraft Factory PBN-1 Nomad initialement destinés à l’US Navy. Cette version du Catalina permit de remplir les missions qui auraient du revenir aux MDR-6A.
Pendant ce temps là les vingt hydravions du premier lot continuaient à remplir leur mission en Mer de Barents. Les exemplaires de la Baltique laissèrent la place à des PBN-1 Nomad.
Quand la guerre se termina à l’été 1945 seuls onze Chyetverikov MDR-6A étaient encore en état de vol, trois étaient cloués au sol et cannibalisés, et les autres avaient été perdus lors de missions de guerre. En tout et pour tout l’unité qui les faisait voler en Mer de Barents fut crédité de deux sous-marins allemands détruits sans que l’on sache actuellement le degré de véracité dans ces affirmation, sachant que l’un des hydravions était piloté par le fameux fils d’un membre du bureau politique. La propagande soviétique était passée par là.
Bien que critiqué le bureau d’étude Chyetverikov proposa en 1946 une version MDR-6B-5 dotée de deux moteurs à douze cylindres en V Klimov VK 107 d’une puissance nominale de 1720 chevaux. Des améliorations furent apportées à l’intérieur de l’hydravion mais l’équipage passa de trois à quatre membres. L’armement fut lui aussi revu et corrigé : un canon mobile B20 de calibre 20mm dans la tourelle avant, deux canons identiques mais automatisés dans la tourelle dorsale. La charge de bombe fut ramenée à 800 kilogrammes.
Pour des raisons bassement politiciennes l’hydravion fut commandé à cinq exemplaires alors même que tous les officiers de la marine soviétique réclamait l’abandon du programme. Ils entrèrent en service début 1947 et furent immédiatement désarmés et affectés à des missions secondaires de soutien opérationnel et d’entraînement avancé.
Pendant ce temps les Naval Aircraft Factory PBN-1 Nomad de facture américaine continuaient à voler pour mener des patrouilles côtières et maritimes.
Finalement à l’été 1948 la marine soviétique retira du service l’ensemble de ses Chyetverikov MDR-6 encore en état de vol. Comble de l’ironie les PBN-1 Nomad alors encore largement en service reçurent la désignation de Mop dans la nomenclature de l’OTAN.
La totalité des MDR-6 fut envoyée à la ferraille.
Esthétiquement très réussi, disposant d’un bon rayon d’action et d’un armement efficace le Chyetverikov MDR-6 fut un cas d’école pour les bureaux d’études soviétiques. Après lui de véritables recherches en ergonomie (pour ne pas dire en confort) furent menés afin de faciliter le travail des équipages lors des missions longues durée.
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