Depuis la Première Guerre mondiale les militaires ont compris l’intérêt de l’avion dans la quête du renseignement photographique concernant les positions ennemies. C’est la nature même des missions de reconnaissance. À ce petit jeu les évolutions technologiques ont autant existé au niveau des appareillages de reconnaissance, du simple appareil photo au capteur infrarouge en passant bien entendu par la caméra que des avions eux-même. Des frêles biplans comme l’Airco DH.1 britannique aux lourds biréacteurs truffés d’électronique qu’étaient durant la Guerre Froide les Lockheed SR-71 Blackbird les avions de reconnaissance ont toujours su épouser les avancées de leur temps. En France l’Armée de l’Air aussi su utiliser durant une trentaine d’années une telle machine, qui s’avéra même être un redoutable avion d’appui aérien rapproché : le Dassault Aviation Mirage F1-CR.
C’est à la toute fin des années 1970 que l’Armée de l’Air fit savoir au ministère de la défense nationale qu’elle recherchait un successeur aux derniers des cinquante Mirage IIIR en service depuis alors plus de quinze ans. Le cahier des charges des aviateurs français prévoyait que le futur avion puisse réaliser des missions secondaires d’attaque et s’auto-défendre au moyen de missiles air-air courte portée, comme sur les McDonnell RF-4C Phantom II alors en dotation dans l’US Air Force. Bien sûr l’état-major parisien n’envisagea à aucun moment l’acquisition de tels avions américains.
En fait les aviateurs tablaient sur le même type de modifications qui avaient permis de passer du Mirage IIIC au Mirage IIIR, ou plus récemment dans la Marine Nationale de l’Étendard IVM à l’Étendard IVP : la transformation dans les ateliers de la société Dassault.
Restait à trouver l’avion adéquat. Pour des raisons de coût il était inenvisageable de songer à transformer l’ultramoderne Mirage 2000C, les ingénieurs de la défense préfèrent proposer le Mirage F1C-200 comme base de travail.
On pensa un temps appeler le nouvel avion Mirage F1R mais cela excluait alors la possibilité de l’utiliser comme avion de combat en mission secondaire. Il fut alors décidé qu’il serait nommé Mirage F1-CR, pour Chasse Reconnaissance. Adapté le Mirage F1 à des missions de reconnaissance n’avait alors rien d’extraordinaire, il était notoire que certains avions espagnols et irakiens réalisaient de telles missions à l’aide de nacelles spécialement acquises pour ce type de vols. Pour autant le futur Mirage F1-CR n’était pas un simple avion de combat sur lequel on allait monter de temps en temps un équipement de reconnaissance, ce serait bien avant tout un avion destiné à ces missions de renseignement.
Le Mirage F1C-200 numéro 601 fut envoyé en atelier chez Dassault à Argenteuil en proche banlieue parisienne pour y être totalement reconstruit en tant que Mirage F1-CR.Une fois les modifications apportées l’avion fut démonté et transporté à bord d’un Transall C.160 de l’Armée de l’Air jusqu’à l’usine de Mérignac dans la région bordelaise. Là le prototype fut remonté et ainsi commencèrent ses essais statiques. Dans le même temps un second Mirage F1C-200, le numéro 602, fut lui aussi modifié devenant le Mirage F1-CR de présérie.
Le premier vol du prototype intervint le 20 novembre 1981.
Parmi les équipements installés sur Dassault Aviation Mirage F1-CR on retrouvait un système d’imagerie thermique SCM2400 Super Cyclone installé en lieu et place d’un des deux canons DEFA 553 d’origine, un nouveau radar Cyrano IVM-R avec capacités accrues de cartographie à basse altitude, une caméra panoramique Thomson TRT-40 installée à l’arrière du nez de l’avion, et une nacelle de reconnaissance emportée sous point centrale.
Ne disposant en terme d’armement interne qu’un seul et unique canon de 30mm le nouvel avion pouvait en plus emporter deux missiles d’autodéfense R550 Magic ou bien une charge de combat maximale de 2500kg.
La période d’essais et de validation de l’avion dura moins de deux ans puisque les premiers Mirage F1-CR de série furent déclarés opérationnels au début du mois de septembre 1983. C’est l’Escadron de Reconnaissance 2/33 Savoie qui reçut ces avions. Au total la version de reconnaissance du célèbre avion fut commandée à 64 exemplaires de série.
En cette période de Guerre Froide de tels avions de reconnaissance ne restèrent pas longtemps sans rien faire. Rapidement certains furent aperçus aux abords des frontières est et ouest allemandes mais aussi au-dessus de certains ports de la Baltique. Ravitaillables en vol les Mirage F1-CR étaient devenus des auxiliaires de premier plan pour les forces françaises autant que pour les services de renseignement des puissances de l’OTAN.
L’effondrement du Mur de Berlin et la fin de l’empire soviétique ne scella pas pour autant le sort des avions de reconnaissance de l’Armée de l’Air. À l’été 1990 plusieurs Mirage F1-CR rejoignirent l’opération Daguet, le pendant français de la force internationale mise sur pied par les Nations Unies après l’annexion du Koweït par les forces irakiennes du dictateur Saddam Hussein. Non seulement les avions français allaient y démontrer une fois encore leurs capacités de reconnaissances tous temps mais également assurer des missions d’appui aérien rapproché notamment au moyen de bombes lisses et de roquettes en paniers contre les troupes ennemies.
Les années 1990 allaient être marquées pour la flotte des jets de reconnaissance français par les missions au-dessus de l’ex-Yougoslavie. D’abord avec les opérations Crécerelles et Salamandre entre mai 1993 et novembre 1996 puis Trident entre avril et juillet 1999. A cette occasion, au-dessus de la province autonome du Kosovo un Mirage F1-CR tira pour la première fois en opération une bombe à guidage laser, une première pour un avion de reconnaissance tactique.
Cette même décennie fut marquée là encore par les déploiements dans ce qui était alors le « pré carré français » à savoir l’Afrique. De manière un peu cavalière les Mirage F1 se sentaient chez eux dans cette région du monde tant ils étaient coutumiers d’y voler pour défendre les intérêts de la République Française autant que pour y assurer des missions de sécurisation internationale. Les Mirage F1-CR n’y faisaient pas exception, réalisant des missions de reconnaissance tactique de jour comme de nuit. À l’été 1994 de tels avions furent engagés au Rwanda dans la très polémique opération Turquoise pour assurer plusieurs types de missions.
L’aube du vingt-et-unième siècle allait ajouter une corde à l’arc du Mirage F1-CR : la chasse pure. Mais avant cela les avions de reconnaissance tactique français firent des merveilles au-dessus des reliefs tourmentés afghans permettant de traquer les combattants talibans autant que les terroristes d’Al Qaïda. En février 2013 les Mirage F1-CR furent parmi les premiers avions engagés, aux côtés des Dassault Rafale B et C de l’Armée de l’Air dans la mission Serval visant à déstabiliser le groupe djihadiste AQMI (pour Al Qaïda au Maghreb Islamique) au Mali. Leurs pilotes réalisèrent des missions de reconnaissance tactique autant que d’appui aérien rapproché, à la roquette ou à la bombe de précision. Entre mai et septembre de la même année quatre avions de l’Escadron de reconnaissance 2/33 Savoie furent détachés dans les états baltes afin d’assurer des missions de police du ciel au sein de la force Baltic Air Policing. Leur armement air-air se composait de leurs deux seuls et uniques missiles Magic, un armement bien suffisant vis à vis de la « menace » russe à l’époque.
Finalement les derniers Dassault Aviation Mirage F1-CR ont été retiré du service à l’été 2014 non sans avoir eu la chance de défiler une dernière fois au-dessus des Champs-Élysées le 14 juillet de la même année. De nos jours l’Armée de l’Air n’a plus d’avion piloté dédié aux missions de reconnaissance tactique, celles ci étant désormais à la charge des drones Harfang et Reaper, deux types de machines non armées. Pour autant les Rafale de l’Armée de l’Air ont prouvé en Irak leur efficacité dans les missions de reconnaissance armée, de quoi laisser entrevoir un successeur dans les années à venir pour les Mirage F1-CR.
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