À priori même si la mouffette est un petit mammifère tout ce qu’il y a de plus adorable rien ne le prédestinait à devenir le symbole d’un des endroits les plus secrets et les plus porteurs de fantasmes du monde aéronautique. Car même si c’est un petit animal très attachant, il ne faut pas oublier qu’il sent très mauvais. Pour être franc on devrait même dire qu’une mouffette, ça pue. Et pourtant c’est cette petite créature qui est devenue le logo d’un des bureaux d’études les plus mystérieux de l’histoire de l’aviation, celui de Lockheed, aujourd’hui Lockheed-Martin : les Skunk Works.
C’est à Palmdale dans le sud de la Californie que les Skunk Works (qu’on pourrait traduire en français par les « ateliers de la mouffette ») sont actuellement installés, dans des locaux aussi modernes et polyvalents qu’ultra-sécurisés. Inutile d’espérer la moindre photographie ou description de l’intérieur, l’Oncle Sam sait préserver ses secrets. À tel point même que les Skunk Works sont devenus au fil des décennies un des grands sujets de dissertation des conspirationnistes du monde entier, au même titre la base aéronavale de Groom Lake mieux connue sous son surnom de Zone 51. Avec ce mini-dossier nous allons tenter de démystifier ce qui au final n’est qu’une grosse ruche à ingénieurs.
En fait les Skunk Works ont commencé à devenir un sujet de polémiques et de fantasmes vers le milieu de la Seconde Guerre mondiale quand les ingénieurs américains commencèrent à travailler sur le premier jet de combat américain véritablement abouti : le Lockheed P-80 Shooting Star. Il fallait en fait faire oublier toutes les erreurs commises par Bell Aircraft sur son P-59 Airacomet.
Avec l’aide de l’US Army Air Force les ingénieurs de Lockheed mirent donc au point un bureau d’études secret qu’ils baptisèrent ADP pour Advanced Development Project, alias Skunk Works pour les intimes. Leur implantation était alors à Burbank dans la banlieue de Los Angeles. Pour la petite histoire les premiers locaux des Skunk Works furent installés dans des préfabriqués prêtés par les studios de cinéma de Walt Disney. Le papa de Mickey-Mouse participait ainsi à l’effort de guerre. Début 1945, ils emménagèrent enfin dans des bâtiments « en dur » dignes de ce nom.
La principale crainte américaine résidait alors dans les derniers espions nazis et japonais encore présents sur le sol des États-Unis et que le FBI n’avait pas encore réussi à arrêter, ou à retourner. La sécurité du complexe militaro-industriel était une des préoccupations majeures de la police fédérale américaine. Les ingénieurs américains y travaillaient donc dans un environnement plus surveillé que réellement serein.
Mais c’est véritablement avec l’avènement de la guerre froide que les Skunk Works entrèrent dans la légende. Un nom leur reste intimement lié, celui de l’ingénieur en chef Clarence « Kelly » Johnson. Celui-ci, de par les programmes qu’il allait chapeauter, devait donner ses lettres de noblesse à la culture du secret existant au sein du bureau d’études. Après le décevant mais pourtant porteur d’espoirs XF-90 ce fut l’étude du chasseur XF-104 Starfighter. Mais déjà dans le même temps les équipes de Johnson travaillaient sur un projet ultra-secret d’avion espion capable de survoler le territoire soviétique sans risque le moins du monde la chasse ennemie : le futur Lockheed U-2.
En 1959, un nouveau bâtiment fut construit à Burbank pour accueillir un groupe de recherches encore plus secret des Skunk Works, celui qui devait étudier le développement d’un avion de combat et de reconnaissance à très grande vitesse. C’est là que fut dessiné et réellement pensé le A-12 Oxcart, et bien entendu son descendant opérationnel le fameux SR-71 Blackbird. L’avion est d’ailleurs devenu à lui tout seul le symbole même des travers des Skunk Works.
Comment l’Amérique avait-elle pu engendrer dans le plus total secret une machine aussi dispendieuse et révolutionnaire ? La réponse se limitait alors en fait en deux mots : Skunk Works. Une fois de plus le bureau d’étude résumait à lui tout seul la situation.
C’est d’ailleurs la même équipe qui réalisa le drone de reconnaissance stratégique D-21 qui avait la particularité d’avoir été conçu pour voler depuis un A-12 Oxcart.
Durant les années 1960 et le début des années 1970 les Skunk Works se mirent principalement au service de la NASA et de sa conquête des étoiles. En parallèle une équipe d’ingénieurs travaillait en partenariat avec des chercheurs et mathématiciens de la prestigieuse université du MIT sur un chantier visant à réduire la signature radar des avions militaires. Le résultat de ces travaux prit la forme d’un surprenant petit monomoteur dérivé d’un motoplaneur, le YO-3 testé en conditions réelles au Vietnam. Mais pour les hommes et les femmes des Skunk Works ne voulaient pas en rester là, d’autant que les crédits alloués par le Pentagone était larges et souples d’emploi. Ainsi naquit le programme Have Blue.
Celui-ci était appelé à défrayer autant la chronique que celui qui donna naissance au SR-71 Blackbird, et pour cause. Le programme Have Blue donna naissant au premier avion de combat à réduction d’émission radar, c’est à dire le premier avion furtif opérationnel : le Lockheed F-117A Nighthawk. Son développement se fit notamment en relation avec les équipes de Groom Lake, et participa à la légende selon laquelle des OVNI y étaient testés. « La vérité est ailleurs »
Sur ce programme non seulement les Skunk Works développèrent l’avion et construisirent le prototype mais en plus ils suivirent son développement de A à Z, et même un peu au-delà. En effet les ingénieurs de l’ADP de Lockheed envisagèrent de développer une version embarquée destinée aux porte-avions de la marine américaine. Cependant la CIA et l’US Air Force s’y opposèrent : un embarquement de la version F-117N aurait risqué de révéler l’existence de cet avion qui était l’arme secrète des missions américaines dans le monde. La pax americana était à ce prix là en cette fin de guerre froide.
Mais déjà des équipes des Skunk Works travaillaient sur l’avenir du bureau d’études : les avions sans pilotes, sans pour autant quitter le domaine des avions sans pilotes. Alors qu’une partie travaillait sur le futur avion de supériorité aérienne de l’US Air Force l’autre développait des concepts de drones de reconnaissance stratégique. C’est sans surprise le premier qui sortit du lot avec le fameux F-22 Raptor.
Quelques années plus tard les Skunk Works se mirent sur les rangs du programme Joint Strike Fighter qui visait à la dotation d’un nouveau chasseur bombardier aussi bien pour l’US Air Force, que l’US Navy, ou encore l’US Marines Corps. Son résultat fut le très controversé F-35 Lightning II actuellement en cours de déploiement dans les rangs des aviations américaines et alliées. Dans le même temps les équipes de développement de drones continuaient à œuvrer dans leur coin. Mais pas sans crédit.
Et les résultats furent nombreux, du Polecat utilisé un temps très secrètement par la CIA à l’actuel ultra confidentiel RQ-170 Sentinel (la fameuse Bête de Kandahar) furtif en passant par la maquette volante X-56. Sans compter tous les drones que l’on ne connait pas… et il doit y en avoir quelques-uns. Depuis le début du vingt-et-unième siècle les Skunk Works se sont aussi lancés de le développement des dirigeables de nouvelle génération.
Au final on peut se dire que les Skunk Works sont un peu à l’image de cet avionneur qu’est Lockheed-Martin, une machine à faire du rêve mais aussi une grosse machine de guerre et de secrets. Ce bureau d’étude participe aussi à sa manière à la défiance qui existe un peu partout dans le monde à l’égard du fameux complexe militaro-industriel américain.
Les Skunk Works risquent de demeurer encore longtemps un phénomène de fascination autant pour les fondus d’aviation que pour les théoriciens du complot qui pullulent sur la toile. La rançon du succès en quelques sortes.
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