Voilà un des sujets les plus porteurs de débats, même près de 80 ans après sa mise en œuvre : la nationalisation des constructeurs aéronautiques français décidée par le gouvernement de Léon Blum lors de son accession au pouvoir en 1936. Si l’idée de départ semblait excellente, force est de constater que sa mise en application fut des plus laborieuses. Pourtant 15 ans plus tard ces nationalisations allaient assurer une place de choix à l’aéronautique française dans le monde.
Lors des élections législatives de mai 1936, une coalition de différents partis politiques de gauche obtient la majorité absolue à la Chambre des Députés. Très rapidement des mouvements de grèves sont lancés dans les industries automobiles et aéronautiques. Elles sont en partie soutenue par le patronat qui craint que cette victoire électorale ne soit les prémices de la mise en place en France d’un état marxiste-léniniste. En juin 1936 patrons, syndicats, et gouvernement se retrouvent à Paris pour signer les accords de Matignon qui verront l’arrivée d’acquis sociaux de premier plan parmi lesquels les premières conventions collectives ou encore la liberté syndicale.
Mais les députés de gauche, menés par le Président du Conseil Léon Blum n’avaient pas oublié que ces mouvements sociaux visant à les affaiblir politiquement étaient nés notamment dans l’industrie aéronautique. S’ils ne voulaient pas avoir à connaitre de nouveaux de telles déconvenues, il fallait qu’elles passent sous leur contrôle. Hors ceci était plus simple à dire qu’à faire, tant la quantité d’avionneurs était alors pléthorique.
Léon Blum chargea son ministre de l’Air Pierre Cot de réfléchir à ces nationalisations. En fait le ministre y songeait déjà mais pour d’autres raisons, moins idéologiques. Cot savait bien que rien ne semblait pouvoir arrêter le réarmement allemand, et que tôt ou tard la France devrait s’engager militaire contre les nazis. Il était en effet notoirement proche de certains militants engagés dans les Brigades Internationales combattant les forces franquistes (soutenues par Hitler et Mussolini) en Espagne.
Le ministre français de l’Air avait notamment en mémoire le fiasco entre 1930 et 1934 du programme d’avions de transport militaire colonial qui avait coûté alors quatre millions de francs aux contribuables pour un résultat plus que décevant. En 1934 en effet son prédécesseur de l’époque Victor Denain avait stoppé net un programme de 1930 visant à fournir à l’Armée de l’Air un trimoteur de transport destiné exclusivement à servir en Afrique en soutien des forces coloniales. Rien moins que dix prototypes différents avaient été subventionnés par les deniers publics : Bernard 160, Bloch MB-70 et MB-120, Dewoitine D-430, Lorraine-Hanriot LH-70, Nieuport-Delage NiD-590, Potez 400, Romano R-6 et R-60, et SPCA 90. Au final seul trois MB-120 de série furent commandés en 1935, les autres servant à l’état de prototype comme avions de liaisons, de transport, ou de soutien d’état-major. Quelques-uns connurent une carrière civile.
Cette gabegie avait alors le mérite d’irriter Pierre Cot, en plus de l’immense capharnaüm composant l’industrie aéronautique hexagonale. Il fallait y mettre bon ordre, et dans l’esprit des années 1930 il n’existait qu’une seule solution : la nationalisation.
Même si Léon Blum y était hautement favorable, ce n’était pas forcément le cas de Vincent Auriol, le ministre des Finances de l’époque. Il réussit notamment à convaincre le Président du Conseil de ne pas procéder à des nationalisations totales. Les anciens dirigeants de ces entreprises pourraient demeurer actionnaire à hauteur de 33% des participations de leurs anciennes entreprises dans les nouveaux groupes. Car l’idée d’Auriol et de Cot était de réunir les actifs de certains avionneurs au sein de nouvelles entités, les Société Nationales de Constructions Aéronautiques. Les deux motoristes français Gnome & Rhône et Hispano-Suiza étaient aussi nationalisées.
Pierre Cot devait alors gérer deux dossiers épineux : ces nationalisations et la création du mouvement de l’Aviation Populaire. Pourtant le premier d’entre-eux était prioritaire, d’autant que le ministre de la défense nationale et de la guerre Édouard Daladier poussait son homologue de l’Air à activer sa démarche, ayant un besoin pressant en aéronefs de nouvelle génération. De leur côté les dirigeants des sociétés de construction aéronautique ignoraient encore « à quelle sauce ils allaient être mangés ». Beaucoup redoutaient alors que ces nationalisations soient durs à l’image de celle des usines Junkers en Allemagne.
Aussi quand la loi fut votée à l’été 1937 plusieurs hauts responsables de ces entreprises privées poussèrent un (petit) ouf de soulagement. Certes leurs sociétés étaient absorbées dans les nouvelles SNCA, mais ils pouvaient continuer d’avoir la main-mise sur les équipes de designs et de conception. L’ingénierie allait donc perdurer.
En fait, Auriol et Cot avaient budgété un total de 250 millions de francs pour racheter ces sociétés à hauteurs de 77%. Ainsi furent créées six SNCA :
- La SNCAC, pour Société Nationale de Construction Aéronautique du Centre réunissant les ateliers et usines Hanriot de Bourges dans le Val de Loire, et Farman de Boulogne-Billancourt en région parisienne.
- La SNCAM, pour Société Nationale de Construction Aéronautique du Midi réunissant les ateliers et usines Dewoitine de Cugnaux et de Francazal en région toulousaine.
- La SNCAN, pour Société Nationale de Construction Aéronautique du Nord réunissant les ateliers et usines Amiot à Caudebec-en-Caux en Normandie, ANF-Les Mureaux des Mureaux en région parisienne, Breguet du Havre en Normandie, CAMS de Sartrouville en région parisienne, et Potez de Méaulte en Picardie.
- La SNCAO, pour Société Nationale de Construction Aéronautique de l’Ouest réunissant les ateliers et usines Breguet de Nantes en Loire-Atlantique, et Loire-Nieuport de Saint-Nazaire en Loire-Atlantique et Issy-les-Moulineaux en région parisienne.
- La SNCASE, pour Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Est réunissant les ateliers et usines CAMS de Vitrolles en Provence, Lioré-et-Olivier d’Argenteuil et Clichy-la-Garenne en région parisienne, Potez de Berre en Provence, Romano de Cannes sur la Côte d’Azur, et SPCA de Marignane en Provence.
- La SNCASO, pour Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Ouest réunissant les ateliers et usines Blériot de Suresnes en région parisienne, Bloch de Courbevoie et Villacoublay en région parisienne, Lioré-et-Olivier de Rochefort en Poitou-Charente, SAB de Bacalan dans le Bordelais, SASO de Mérignac dans le Bordelais, et UCA de Bègle dans le Bordelais également.
Ces six entreprises reprirent l’ensemble des programmes débutés par les sociétés précédentes du temps de leur privatisation. Du fait d’appuis politiques haut placés parmi les dirigeants de gauche de l’époque les responsables de Morane-Saulnier purent continuer à œuvrer de leur côté sans être inquiétés. Et pour causes, leurs ateliers n’avaient pas débrayé après l’accession au pouvoir de la SFIO, du PCF, et des radicaux en mai 1936.
Pourtant quelques programmes furent lancés à cette époque sous ces nouvelles raisons sociales. L’un des plus célèbre est certainement le chasseur expérimental SNCA0 CAO-200 conçu avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale mais jamais entré en service du fait de l’effondrement des forces françaises face aux armées allemandes.
Les six SNCA ne survécurent pas toutes à la Seconde Guerre mondiale, la SNCAO étant intégrée au cours de l’année 1941 à la SNCASO sur ordre des autorités collaborationnistes de Vichy. Durant le conflit l’ensemble des constructeurs aéronautiques français furent mis au service de l’industrie allemande, assemblant localement certains avions pour la Luftwaffe et ses alliés.
Après la libération la concentration des SNCA continua d’abord en 1945 par l’absorption de la SNCAC au sein de la SNCAN, puis en 1957 par la fusion des SNCASE et SNCASO en tant que Sud-Aviation, et enfin en 1970 par la fusion de Sud Aviation et de Nord Aviation héritière de la SNCAN au sein de la SNIAS, alias Aérospatiale.
Une histoire qui a su perdurer de nos jours d’abord avec EADS puis aujourd’hui le géant européen Airbus Group qui a su conserver certains sites originels tels Argenteuil, Méaulte ou encore Saint-Nazaire.
Il est à noter qu’après-guerre Marcel Bloch et Louis Breguet reprirent séparément leurs activités, tandis que Morane-Saulnier se rapprocha petit à petit de la semi-nationalisation. Belle ironie de l’Histoire.
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