Lors d’un précédent séjour sur l’île Oahu, où j’ai notamment visité le Pacific Aviation Museum à Pearl Harbor, je suis tombé sous le charme des îles hawaïennes. Nous avons donc décidé de nous offrir un cadeau spécial en prenant l’avion le jour de Noël à l’aéroport de Québec en direction de Hilo sur la côte Est de l’île Hawai’i. Simplement surnommée « Big Island » par les anglophones, la fougueuse Hawai’i est la plus jeune de cet archipel d’îles volcaniques unifiées sous le royaume d’Hawaii avant de devenir un territoire américain. Elle fascine ses admirateurs par son histoire, la taille de ses montagnes, son volcan fort actif et la diversité de ses plages de sable noir, gris, vert, doré et blanc.
Dès la descente d’avion à l’Aéroport international de Hilo, notre regard est attiré par le Mauna Kea qui trône au loin avec sa cime enneigée en hiver. Moi qui pensais fuir la neige pendant quelques semaines ! Je suis heureusement réconforté par la vue de la mer toute proche et des palmiers. Quelques jours plus tard, on a presque l’impression de pouvoir toucher la voûte du ciel – et pourquoi pas le paradis – en marchant sur la cime du Mauna Kea qui culmine à plus de 4200 mètres d’altitude. Nul besoin d’être un alpiniste, car avec un véhicule 4×4 on peut accéder au sommet où est implanté l’observatoire astronomique Canada / France / Hawaï. Encore faut-il que la température soit suffisamment clémente. Souffle coupé garanti par le manque d’oxygène, mais aussi par le grandiose panorama à perte de vue !
De taille modeste (43 000 habitants), la paisible ville de Hilo est néanmoins dotée d’un aéroport capable d’accueillir les plus gros avions de ligne. Les origines modestes de l’aéroport de Hilo remontent à 1927. Sous l’impulsion du gouvernement du Territoire d’Hawaii (qui n’accédera au statut d’État américain qu’en 1959) l’aménagement d’une piste rudimentaire fut réalisé par des forçats provenant d’une prison située non loin de là. L’aérodrome fut inauguré en février 1928 par le Major Clarence M. Young, alors Secrétaire de l’aéronautique à l’U.S. Department of Commerce. Accompagné d’autres dignitaires, il atterrit à Hilo à bord du célèbre avion Bird of Paradise, un trimoteur Atlantic-Fokker C-2, qui l’année précédente avait effectué la première traversée entre le continent américain et Hawaii. En novembre1929, Inter-Island Airways, l’ancêtre d’Hawaiian Airlines, effectua les premières liaisons commerciales entre Hilo et Honolulu à bord d’avions amphibies Sikorsky S-38.
Durant la première décennie de son existence, l’aérodrome d’Hilo connût peu d’améliorations et risqua même de disparaître sous les coulées de lave en 1935. Les autorités de la ville, également menacée par les éruptions du volcan Mauna Loa, firent un appel désespéré à l’US Army Air Corps qui dépêcha sur les lieux six bombardiers Keystone B-3A du 23rd Bomb Squadron. Déjà obsolètes, ces vieux bombardiers se virent confier une mission très spéciale, soit de larguer des bombes pour dévier la trajectoire des coulées de lave vers des zones inhabitées. Bien que les volcanologues doutent aujourd’hui de l’efficacité de cette intervention, attribuant plutôt l’arrêt des coulées de lave au fruit du hasard, les équipages des vieux Keystone furent acclamés en héros pour avoir sauvé Hilo. Rappelant cette mission de bombardement assez unique, le 23rd Bomb Squadron arbore encore aujourd’hui ses couleurs sur les flancs de ses bombardiers Boeing B-52.
Suite à l’attaque surprise de l’aéronavale japonaise à Pearl Harbor le 7 décembre 1941, la loi martiale fut déclarée pour l’ensemble des îles hawaïennes et tous les aérodromes placés sous contrôle militaire. Ayant échappé aux bombardiers japonais, l’aérodrome de Hilo fut réquisitionné par l’USAAF dès le 25 décembre 1941 et un escadron d’avions de chasse Curtiss P-40 Warhawk dépêchés pour protéger les lieux. La construction de nouvelles pistes et de bâtiments débuta en 1942 et le Hilo Army Air Field prit le nom de General Lyman Field en 1943. Première personne d’origine hawaïenne à être nommé au rang de général dans l’armée américaine, le brigadier général Albert Kualii Brickwood Lyman est mort en service en août 1942 alors qu’il coordonnait les efforts de construction des aérodromes militaires de l’US Army dans l’archipel hawaïen. À compter de 1943, les Seabees de la marine américaine entreprirent des travaux d’agrandissement de l’aéroport pour y implanter le Naval Air Station Hilo. Le NAS Hilo devint rapidement une base d’entraînement avancé pour les équipages d’avions devant être déployés sur les nouveaux porte-avions sortant en nombre croissant des chantiers maritimes américains. Le General Lyman Field était également une escale importante pour les avions de transport, tant de l’armée que de la marine, alors que les liaisons aériennes civiles s’y poursuivaient sous le contrôle militaire.
À la fin du conflit du Pacifique, les militaires délaissèrent le General Lyman Field qui fut rétrocédé en septembre 1946 au Territoire d’Hawaii redevenant ainsi un aéroport civil. Ayant échappé aux dévastations de la guerre, la ville de Hilo fut toutefois éprouvée le premier avril 1946 par un tsunami qui balaya les côtes de Big Island, tuant 122 personnes. En mai 1960, un second tsunami emporta 61 habitants de l’île et détruisit plusieurs édifices à Hilo. L’aéroport échappa à la destruction lors de ces deux cataclysmes et joua un rôle fort important pour l’évacuation des blessés et l’arrivée des secours aux personnes sinistrées. Se relevant les manches face au déclin économique résultant du la décroissance rapide des activités militaires et anticipant le potentiel touristique de la région, les autorités civiles entreprirent des travaux de modernisation de l’aéroport à compter de 1959. Les pistes allongées permirent d’accueillir, dès 1967, les premiers Douglas DC-8 d’United Airlines ainsi que les Boeing 707 de la PanAm partant de San Francisco et de Los Angeles. Le port en eau profonde, tout près de l’aéroport, accueille également des bateaux de croisière.
Au fil des ans l’aéroport, renommé Hilo International Airport en 1989, est également devenu le point de départ pour des excursions touristiques en hélicoptère. Moi et ma plus jeune fille avons donc saisi l’opportunité de monter à bord d’un Eurocopter EC130 Eco-Star de l’entreprise Blue Hawaiian. Développé spécifiquement pour les opérateurs de vols touristiques, l’Eurocopter EC-130 est une variante du célèbre AS-350 Écureuil. Le client de lancement de l’EC130 en 2001 était d’ailleurs Blue Hawaiian qui est maintenant doté de la plus grande flotte d’hélicoptères privés dans l’archipel. Ayant déjà eu l’opportunité de voler à bord d’hélicoptères Bell beaucoup plus communs en Amérique, je n’allais pas manquer une si belle occasion. Nous avons pu survoler le Kilauea qui crache depuis 1983 lave et panache de fumée ainsi que les paysages apocalyptiques de l’Hawaiʻi Volcanoes National Park qui côtoient des vallées paradisiaques d’où surgissent des chutes d’eau. En prime, rien de moins qu’un rare Boeing E-4A au bout de la piste de l’aéroport de Hilo ! Natif d’Hawaii, Barack Obama était en vacances dans le coin pour jouer au golf… Sécurité oblige, je n’ai pu m’approcher de l’avion présidentiel et dû me contenter de le photographier de loin.
Situé sur la côte-au-vent des alizés, sa moyenne de 275 jours de pluie par année et ses précipitations totales annuelles de plus de 320 centimètres, Hilo est boudée par les grandes chaînes hôtelières et les développeurs immobiliers. L’ouverture du Kona International Airport à l’autre bout de l’île en 1970 sur la côte-sous-le vent et son climat quasi désertique et donc aux plages pratiquement toujours ensoleillées, n’a fait que perpétuer le relatif isolement de Hilo. C’est d’ailleurs ce qui fait tout le charme de cette ville qui semble figée dans les années 1960 et qui a su conserver sa douceur de vivre malgré la nature qui se déchaîne parfois à ses portes. Tout de même facilement accessible grâce à son aéroport, Hilo est à l’intersection du paradis tropical et de l’enfer surgissant des entrailles de la terre, ce qui en fait une destination idéale pour les amants de nature sauvage.
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