La doctrine d’emploi des bombardiers dans la Luftwaffe privilégiait les bimoteurs moyens rapides, des appareils aux compétences proches de chasseurs lourds. Toutefois au fur et à mesure que les aviateurs allemands se frottaient à leurs homologues, et néanmoins adversaires, alliés ils se rendirent compte de la nécessité grandissante pour l’Allemagne nazie de disposer d’un bombardier lourd comparable aux avions américains ou britanniques. Le RLM (ministère nazi de l’air) décida alors de confier ce chantier à l’avionneur Heinkel, déjà concepteur du seul bombardier « lourd » opérationnel dans la Luftwaffe, le He-177 Greif.
En outre la Luftwaffe spécifia à Heinkel qu’elle exigeait que le nouveau bombardier soit apte à opérer à haute altitude. Le contrat officiel fut passé en mai 1943 et portait sur deux prototypes.
Les ingénieurs décidèrent d’utiliser en partie des pièces provenant du Greif, mais aussi d’autres avions du constructeur comme l’avion de transport postal He-116 et l’hydravion expérimental He-119. Bien que très prometteur sur le papier le programme du nouvel avion n’était pas prioritaire pour une Luftwaffe de plus en plus en danger face à l‘USAAF et à la RAF. En effet les usines allemandes du constructeur devaient se concentrer sur le chasseur à réaction He-162 Salamander, et sur le He-177.
Heinkel décida de confier les travaux, via les forces d’occupation en France, à l’avionneur Farman, spécialiste depuis la Première Guerre mondiale dans la réalisation de multimoteurs. Farman décida de rassembler le programme dans son usine de Suresnes en banlieue parisienne. Les équipes françaises et allemandes désignèrent l’avion He-274.
L’action conjointe de sabotage de la Résistance parisienne et des ouvriers de Farman fut telle que le programme prit un retard catastrophique, si bien que l’assemblage du premier prototype ne commença qu’en juin 1944. A cette époque là les troupes alliées avaient déjà pris pied en France et se rapprochaient de plus en plus de Paris. L’avion fut finalement assemblé début août 1944.
L’inquiétude des ingénieurs allemands, mais également de leurs homologues français qui avaient collaborer, grandissait de jours en jours. D’autant que l’Insurrection de Paris venait de commencer et que les troupes de la France Libre n’étaient plus qu’à 70 kilomètres de la capitale. Alors que les troupes françaises du Général Leclerc pénétraient dans Paris le 24 août 1944 les responsables de Farman et de Heinkel décidèrent d’évacuer l’avion. Ils se trouvèrent alors face à l’hostilité des commandos de résistants locaux, appuyés en cela par plusieurs dizaines d’ouvriers. Alors que les rapports allemands faisaient état de nombreuses troupes alliées dans les rues des villes proches de Paris, souvent à tort, les Allemands décidèrent d’abandonner le He-274 sur place. Ils essayèrent de l’incendier pour éviter qu’il ne tombe aux mains des Forces Françaises Libres. Là encore les Allemands échouèrent.
L’usine Farman de Suresnes fut officiellement libérée par la Deuxième Division Blindée le 3 septembre 1944. Entre le départ des Allemands et cette date l’avion fut étroitement gardé par des résistants en arme et par des ouvriers de l’usine.
Le prototype se présentait sous la forme d’un quadrimoteur de bombardement à aile mi-médiane mi-haute disposant d’un empennage à double dérive et d’un train d’atterrissage classique escamotable. Il était prévu pour recevoir un armement défensif dans le nez, sur le dos, et sous le ventre de l’avion. L’aile de l’avion disposait en outre d’une envergure accrue par rapport aux autres avions. Le nez de l’avion, fortement vitré, rappelait étrangement celui du Greif. Les ingénieurs allemands pensèrent un temps monter sur l’avion un radar H2S saisi sur un Halifax de la RAF. Ce système ne fut finalement jamais livré à Suresnes.
Début 1945 l’avion fut convoyé par la route jusqu’au terrain d’aviation militaire d’Orléans-Bricy où les ingénieurs français terminèrent son assemblage. Après avoir un temps envisagé de l’équiper de quatre moteurs Daimler Benz DB-603G, des moteurs prélevés sur deux He-219A-7 saisis dans l’est de la France, on décida finalement de le doter de quatre DB-603A moins puissants mais disponibles en plus grand nombre. Des fuites eurent lieu, si bien que les Nazis surent rapidement que l’avion était à Bricy et tentèrent un raid désespéré contre l’avion avec des Junkers Ju-88 quelques semaines avant l’Armistice. Afin de protéger l’avion il fut décider de retarder son premier vol après l’issu de la guerre.
En juin 1945 après la défaite allemande les usines Farman furent nationalisés et celle de Suresnes devint officiellement l’AAS, Atelier Aéronautique de Suresnes. Le Heinkel He-274 prit donc la désignation d’AAS-01A. Le premier vol eu lieu le 12 décembre 1945.
Les essais en vol démontrèrent de bonne qualités de vol à haute altitude et une certaine capacité de transport. Toutefois l’Armée de l’Air de 1946 n’était pas en mesure de se lancer dans un programme de bombardier lourd. Le second prototype fut donc stoppé. Toutefois l’AAS-01A ne fut pas pour autant ferraillé. Il fut employé par le Centre d’Essais en Vol comme appareil de soutien et d’entrainement au vol sur multimoteur. A cette fin son armement fut déposé. L’AAS-01A emporta notamment sur son dos les prototypes du SNCAC NC-270 et du SNCASO SO-4000 pour leurs premiers essais aérodynamiques. Mais surtout l’avion servit aux essais du SO-6000 Triton comme appareil d’accompagnement. Il fut finalement ferraillé fin 1953.
Le Heinkel He-274 fut donc construit à deux exemplaires, un seul réalisant réellement des vols d’essais et de soutien. Il fut le premier quadrimoteur construit en France après guerre. Conçu comme un bombardier, il ne réalisa finalement que des missions de soutien au essais en vol, en fait des missions de transport. Le He-274, ou AAS-01A son alter ego français, fut donc un bombardier qui ne bombarda jamais rien.
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