En septembre 1945, l’USAAF soumit aux constructeurs des spécifications pour un intercepteur supersonique capable d’effectuer des missions de défense rapprochée, notamment en devant atteindre une altitude de 15000 m en 4 minutes et une vitesse de 1200 km/h. Convair (Consolidated Vultee Aircraft Corporation) se lança dans l’étude d’un projet extrêmement audacieux, qui dépassait les possibilités de la technique de l’époque.
L’intercepteur devait être propulsé par un combiné statoréacteur-fusées à hydrogène liquide. Placés à l’extérieur, les quatre moteurs-fusées de 1815 kgp chacun auraient procuré l’accélération initiale, tandis que le statoréacteur, allumé par seize fusées de 20 kgp aurait pris le relais, une fois acquise une vitesse suffisante. Le cockpit était situé dans le cône de diffusion au centre de la tuyère. En cas de difficulté, la cabine se détachait, ralentie par un parachute, et le pilote pouvait alors la quitter. Vu le très grand écart entre le poids au décollage et le poids à l’atterrissage. Le départ avait lieu sur un trolley, cependant un train léger était utilisé à l’atterrissage. Visuellement l’appareil n’était pas sans rappeler le prototype français Leduc 0.22.
Lorsque Convair présenta son projet, au début de l’année 1946, les ailes offraient une configuration en flèche de 45° au bord d’attaque. Les calculs prévoyaient une vitesse maximale de 875 km/ h à 15000 m d’altitude. En mai, le projet était retenu, et il reçut comme désignation XP-92. Cependant, les essais en soufflerie avaient montré qu’à faible vitesse l’aile en flèche présentait des caractéristiques très peu satisfaisantes. Après plusieurs tentatives d’amélioration, Ralph Shick, responsable des études aérodynamiques proposa dès juillet une aile delta de 60° de flèche au bord d’attaque comme la meilleure solution pour obtenir à la fois une bonne stabilité à faible vitesse et des performances très élevées. Certes, Shick connaissait les travaux d’Alexander Lippisch, et l’avait même rencontré, mais ce dernier avait étudie exclusivement des ailes de grande épaisseur, incapables de supporter des vitesses supersoniques, alors que le profil d’aile du XP-92 était extrêmement mince pour atteindre des vitesses très supérieures à Mach 1. La voilure préconisée par Cons air était donc bien originale.
Comme les possibilités offertes par les caractéristiques de l’aile delta demeuraient encore très théoriques. Convair envisagea de construire une version plus petite et propulsée par un turboréacteur Allison J-33A.23 de 1680 kgp passant à 1930 kgp avec injection d’eau. Cet avion désigné model 7002 était pourvu d’une voilure identique à celle du XP-92. Le programme fut approuvé par l’Air Force en novembre 1946. Afin d’accélérer la conception et d’économiser des couts, il fut décider de réutiliser des pièces provenant d’appareils en production. Ainsi, le train d’atterrissage principal était celui d’un North American FJ-1 Fury, le train avant provenait d’un Bell P-63 Kingcobra, le moteur et l’hydraulique d’un Lockheed P-80 Shooting Star, le siège éjectable et la canopée du Convair XP-81, programme annulé quelques mois auparavant.
Construit en moins d’un an, l’appareil effectua des essais en soufflerie en décembre 1947, avant de rejoindre le centre d’essais en vol de Muroc Dry Lake (désormais Edwards AFB), où les premiers roulages eurent lieu fin mai 1948. Le mois suivant, le XP-92 était abandonné (vu l’impossibilité de réaliser son moteur), ce qui permit de débloquer des crédits pour le modèle 7002 qui devint le XF-92A, la désignation P (pour Pursuit, poursuite) ayant été changée en F (pour Fighter, chasseur) en 1948. L’appareil du fait de son allure fut surnommé « Dart« .
Le 18 septembre 1948, piloté par Sam Shannon, le XF-92A, le premier avion à aile delta propulsé par un moteur à réaction effectuait son vol initial. D’emblée, l’appareil se révéla très difficile à manœuvrer, mais le pilote accusa le système hydraulique, le premier du genre, commandant les ailerons qui faisaient office de gouvernail de profondeur, si leurs mouvements étaient identiques, et d’ailerons, si leurs mouvements étaient différentiels. L’avion fut remis à l’USAAF pour la suite des tests en août 1949 et confiés notamment à Chuck Yeager.
Une année durant, Convair effectua une cinquantaine de vols. Le XF-92A, bien que trop lourd et sous-motorisé, confirma les possibilités de l’aile delta. L’USAAF mena ensuite une série de recherches à grande vitesse, le XF-92A franchissant sans problème de stabilité le mur du son au cours d’impressionnants piqués. Le programme terminé en mai 1950, un nouveau moteur pourvu de la postcombustion fut alors monté, le J-33A.29, délivrant 2542 kgp à sec et 3405 kgp avec la postcombustion. Les vols reprirent en juillet 1951, mais les résultats furent très décevants, car la postcombustion ne fonctionnait pas en altitude, alors que la complexité de son installation retardait les essais. L’avion ne dépassa de nouveau Mach 1 qu’en août 1952 et, en dix-neuf mois, n’accomplit que 21 vols.
Finalement, le NACA en hérita en avril 1953, l’appareil étant doté cette fois d’un moteur J-33A.16 de 3813 kgp avec la postcombustion. Le 14 octobre 1953, le XF-92A subit des dommages jugés irréversibles à cause d’une rupture du train avant à l’atterrissage. Le XF-92A fut définitivement retiré du service, après avoir accompli 118 vols totalisant 62 heures.
Scott Crosfield, qui avait accompli les vols pour le compte du NACA, se souvient du XF-92A comme d’un véritable cauchemar, mais reconnaît que les données accumulées durant la soixantaine d’heures de vol en cinq années d’opérations furent très utiles pour la mise au point des appareils à aile delta et a permis le développement des intercepteurs à ailes delta F-102 Delta Dagger et F-106 Delta Dart.
Pour l’anecdote, le XF-92A fit une prestation inhabituelle au cinéma, dans le rôle d’un « MiG-23 » imaginaire maquillé avec un livrée orange et noire. Ce film d’Howard Hughes, « Jet Pilot » avec John Wayne et Janet Leigh, connu une sortie tardive en 1957 et le rôle du XF-92A fut coupé au montage.
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