L’aviation civile indienne aurait elle du plomb dans l’aile ? On est en droit de se le demander vues les énormes difficultés que connaît actuellement Air India. En effet, depuis qu’elle a racheté son historique concurrente Indian Airlines, la compagnie nationale annonce coups sur coups des annulations de commande, des mouvements sociaux en cascade tant chez les personnels navigants que chez les équipes au sol, et ce malgré le fait que les clients lui demeurent fidèles.
Car c’est bien là que se trouve l’interrogation. En effet, la compagnie aérienne créé il y a près 80 ans par l’aviateur Tata demeure la favorite en Inde, loin devant ses concurrents classiques comme ceux à bas coûts, voire même les charters très répandus dans le pays. Mais cette fusion réalisée en février 2011 ne s’est pas faite toute seule. Il a fallu reprendre une grande partie des pilotes et équipages d’Indian Airlines, mais également une partie de sa flotte d’avions de ligne. A l’époque de son rachat, cette dernière possédait une flotte quasi exclusivement composée d’Airbus monocouloirs. Ce sont donc des A319, A320-200, et A321-200, pour un total de 62 machines qui ont été récupérés. Le problème vient du fait que majoritairement les pilotes d’Air India ne connaissent pas, ou mal, ces avions, et donc continuent de se cantonner à voler sur ceux sur lesquels ils opéraient avant le rachat. Sans compter un imbroglio dans la gestion des ressources humaines du groupe qui veut que désormais les anciens pilotes d’Indian Airlines soient prioritaires pour recevoir la formation leur permettant de voler sur les premiers des 27 Boeing 787 commandés, dont les livraisons commencent ce mois-ci. Donc grosso-modo on a fait fusionner les deux compagnies, mais sans être capable de mélanger les personnels. Du coup depuis plusieurs semaines les annulations de vol se succèdent entre New-Delhi, Bombay, et le reste du monde. Des villes comme Londres, Paris, Shanghai, ou encore Chicago ne sont plus desservies du tout. Et cela n’arrange même pas la concurrence, qui elle aussi va mal.
Avec en tout premier lieu, le transporteur intérieur Kingfisher Airlines, qui jusqu’à peu était encore une filiale du groupe UB (United Breweries) une entreprise gigantesque dont les activités vont de la brasserie (d’où son nom) à la production d’engrais, en passant par les travaux publics, ou encore les NTIC. Le groupe UB a décidé de « lacher » Kingfisher suite à des problèmes d’impayés auprès des personnels navigants. Selon UB, les pilotes seraient trop gourmands en matière de revendications salariales, ce qui aurait décidée la maison-mère à jeter l’éponge. Dans un pays où le taux de croissance économique avoisine les 8.8%, on semble peu se soucier du facteur humain… Kingfisher continue donc son activité comme une grande, sur ses seuls acquis, mais certaines sources dans la presse indienne indiquerait une volonté patronale de se séparer d’un tiers des effectifs de la compagnie. L’état de santé de Kingfisher a de quoi inquiéter en Europe, en effet la compagnie est cliente à 100% de son industrie aéronautique avec des ATR franco-italiens, et des Airbus A319, A320-200, A321-200, et A330-200. Mais surtout la compagnie indienne a acheté récemment cinq A380-800 et cinq A350-800 livrables entre 2014 et 2015.
La situation de la compagnie low cost IndiGo pourrait presque passer pour idyllique, puisque elle ne rencontre que peu de difficultés sur son marché, elle honore correctement sa commande de 150 Airbus A320 Néo, passée l’an dernier au Bourget, et en plus ses avions connaissent un taux de remplissage de l’ordre de 90 à 100%. Alors que demander de mieux ? Eh bien une meilleure desserte internationale. En effet, IndiGo ne relie l’Inde qu’à cinq pays étrangers (les Emirats Arabes Unis, le Népal, Oman, Singapour, et la Thaïlande) quand la demande commerciale est triple. Cependant l’autorité publique de l’aviation civile indienne semble muette à ses requêtes. Et la situation intérieure n’est guère plus reluisante. Moins de trente aéroports internationaux ou locaux sont desservis par ses A320, contre près du double pour Air India ou Jet Airways.
Pour cette dernière, qui se situe sur le créneau du transport « de confort », puisque ses avions ne possèdent pas de classe économique ou touriste, la situation est sensiblement différente, quoi qu’au final les affaires en pâtissent forcément. Avec son taux de croissance important l’Inde a su se créer une classe moyenne forte de près de cent millions de personnes (soit plus que les populations françaises et belges réunies) et donc autant de passagers potentiels pour une aviation civile gourmande. Mais surtout Jet Airways a parié sur ceux qu’en France nous nommons les CSP+ et CSP++, ces cadres et cadres supérieurs qui voient en l’avion un transport en commun régulier, voire quotidien. Seulement les responsables de cette compagnie n’avaient pas anticipés la crise financière, et le fait que ces clients cadres, d’habitudes tant chouchoutés allaient se replier massivement sur les compagnies classiques voire même celles à bas coût. Alors si Jet Airways demeure moins cher, à qualité équivalente, qu’Air France, British Airways, ou Lufthansa, cela ne suffit pas à endiguer cette fuite des clients fortunés. D’autant que pour les 1 ou 2% les plus riches, les jets d’affaires à louer sont encore plus pratiques et polyvalents. Pour un Bombay-Paris, on ne fait pas de queue à l’arrivée au Bourget par rapport à l’arrivée à Roissy-CDG sur avion de ligne.
Alors oui, l’aviation civile indienne semble aller mal, mais les causes de ce malaise sont multiples et surtout inquiétantes pour les deux géants Airbus et Boeing pour qui elle représente néanmoins un marché primordial.
Photos (c) Airbus Industries, V. Jolapara
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