L’ingénieur allemand Claude Dornier est considéré, à juste titre, comme un des plus grands génies de l’histoire aéronautique. Ses travaux et les diverses productions de son entreprise ont permis des avancées notables dans bien des domaines, et certaines de ses créations sont restés dans l’Histoire comme l’hydravion commercial géant Do X ou encore le chasseur lourd Do 335 à moteurs push-pull. Claude Dornier était aussi un homme qui avait de la suite dans les idées ainsi que deux ou trois lubies assez fortes. L’une d’entre elle était de réduire au maximum les courses de décollage et d’atterrissage (voire de déjaugeage et d’amerrissage) de ses aéronefs. L’aboutissement de ces travaux se retrouva avec le Dornier Do 29 apparu à la fin des années 1950.
C’est en fait en 1928 que Claude Dornier s’intéresse à ce que l’on appelle pas encore les ADAC, les Avions à Décollages et Atterrissages Courts. Il travaille alors sur le programme Rennflugzeug, un ambitieux hydravion de course bimoteur push-pull. Il cherche à ce que celui-ci puisse s’arracher du ras des flots le plus vite possible. Ses travaux ainsi que ceux de ses ingénieurs montrent clairement les limites du push-pull dans ce cas de figure. Le Rennflugzeug est abandonné, pas l’idée de décoller sur de courte distance. Et pour l’ingénieur allemand cela passe par un basculement des hélices de l’avion.
Trois ans plus tard, sur fonds propres, il développe le Do C1. Ce gros monomoteur à aile parasol dispose d’un moteur à douze cylindres en V BMW VI de 710 chevaux. Il réussit à la faire voler en juillet 1931, son décollage étant raccourci par une technique permettant de basculer vers l’avant avec une incidence de 21 degrés l’ensemble du bloc moteur. Malheureusement cela aveugle momentanément le pilote et rend l’avion extrêmement dangereux à prendre en main. Claude Dornier sait qu’il doit peaufiner sa méthode mais que celle-ci est valable. Pour autant le Do C1 est abandonné. Quelques années plus tard Adolf Hitler prend le pouvoir en Allemagne et la société Dornier devient un des principaux fournisseurs d’avions et d’hydravions de la jeune Luftwaffe. Cela perdurera jusqu’à la fin du régime nazi. Une position de force qui permettra à l’ingénieur et homme d’affaire de lancer, avec des fonds publics cette fois le développement de l’hydravion expérimental Do 212. Le Do C1 ayant démontré qu’une hélice basculante à l’avant n’était pas la meilleure des idées Claude Dornier décide de la placer à l’arrière. Dès 1938 il développe cette machine autour d’un Hirth HM-512 lui aussi à douze cylindres en V. Même sur le choix de ses motorisations l’ingenieur est opiniâtre ! Afin de se protéger des raids aériens alliés et puisque son prototype est plutôt un avion civil il obtient la possibilité de le construire en Suisse, et plus précisément à Altenrhein sur les bords du lac de Constance. Et là encore en août 1942 c’est l’échec : dès sa première course de déjaugeage l’arbre de basculement vers le haut de l’hélice se rompt. Le Do 212 est envoyé à la ferraille quelques semaines plus tard. Hermann Göring, alors à la tête du RLM, décide de couper les subventions allouées à ce programme.
Pourtant Claude Dornier y tient : il saura faire décoller un avion sur une distance vraiment raccourci. Et dès le début des années 1950 il réussit à convaincre les autorités ouest-allemandes qu’il tient cette fois la bonne solution : un bimoteur à hélices propulsives. Le vieillissant ingénieur n’a rien perdu de sa fougue et de sa détermination. Il obtient des crédits couvrant environ 50% de ses dépenses grâce au DVL, le Deutsche Versuchsanstalt für Luftfahrt. Il s’agit là du centre d’études aéronautiques de République Fédérale d’Allemagne. C’est aussi un reliquat de l’époque hitlérienne dans lequel Claude Dornier a encore de nombreuses relations. En 1956 il peut enfin développer son Do 29.
Contrairement aux précédents Do C1 et Do 212 il décide de ne pas partir de zéro mais de concevoir le Do 29 à partir d’une machine existant déjà. Il jette tout naturellement son dévolu sur le très réussi Do 27, un monomoteur de servitude apparu quelques mois auparavant et qui connait déjà le succès. Un exemplaire est alors prélevé sur les chaînes d’assemblage et renvoyé auprès des ingénieurs. Pendant ce temps là ça phospore dans les bureaux d’études de l’avionneur.
Le choix de la motorisation est alors essentiel pour Dornier. C’est le Lycoming GO-480-B1A6 à six cylindres en ligne de 270 chevaux de puissance qui est sélectionné. Il actionne une hélice tripale en métal. Sur ce Dornier Do 29 le pilote est placé juste derrière un pare brise largement vitré qui lui offre un champ de vision très important. Par mesure de sécurité l’avion est doté d’un siège éjectable fourni par la société britannique Martin Baker. Il s’agit du même modèle que celui que l’on retrouve alors sur les chasseurs Hawker Hunter au sein de la RAF. Si le train d’atterrissage et surtout la voilure sont redessinés toute la partie arrière du fuselage, empennage compris, demeure quasi identique au Do 27. L’aile justement a été repensée afin d’accueillir les deux nacelles moteurs orientables.
C’est en septembre 1958 que le Dornier Do 29 débute ses essais statiques. À ce moment là Claude Dornier, âgé de 74 ans, peut assister au basculement à angle droit des moteurs du premier prototype. Pour lui c’est la consécration de toute une vie de recherche. Un second Do 29 était alors en cours d’assemblage. Après les tests sous entraves il est temps deux mois plus tard, en novembre de débuter le roulage de l’avion expérimental. Et enfin le 21 décembre 1958 le premier vol a lieu. Il se déroule sans le moindre problème, et pour cause : il est réalisé dans des conditions normales.
Ce n’est qu’à partir du deuxième vol d’essais que les tests de décollages et d’atterrissages courts débutent. Si le Dornier Do 29 décolle normalement avec les hélices dans l’axe du moteur la vitesse est alors de 105 kilomètres/heures mais dès lors qu’elles sont inclinées à 70 degrés cette vitesse est ramenée à 75 kilomètres heures. Les données du vieux Do C1 de l’entre-deux-guerres sont très vite dépassées. Avec une telle incidence la course de décollage du Do 29 n’est que de 220 mètres avant d’atteindre l’altitude de 15 mètres dont seulement 123 mètres sur le tarmac. Dans des conditions identiques une fois à la même altitude l’avion n’a besoin de 205 mètres de course d’atterrissage pour s’immobiliser au sol. Sur cette dernière distance le Do 29 roule sur 81 mètres. Malgré le fameux test à 90 degrés au sol quelques semaines auparavant cette incidence ne sera jamais essayée en vol.
Les réussites du Do 29 poussent l’avionneur à envisager une version de série, beaucoup plus imposante. Le programme Do 30 est lancé en ce sens. Dédié au transport tactique moyen tonnage il doit pouvoir accueillir trente soldats équipés ou bien une quinzaine de blessés sur civières et cinq soignants. L’idée est alors de le doter de deux turbopropulseurs Rolls-Royce Dart Mk-529 d’une puissance unitaire de 1938 chevaux. Le projet est proposé à la Luftwaffe qui le refuse, préférant une autre étude de l’avionneur : le très ambitieux Dornier Do 31.
Figurant parmi les programmes aéronautiques allemands les plus innovants de la guerre froide le Dornier Do 29 n’a malheureusement débouché sur rien de concret. Il a juste permis de valider pleinement près de trente ans de recherches par son concepteur sur les capacités d’atterrissages et de décollages courts. De nos jours le Dornier Museum de Friedrichshafen dans le sud de l’Allemagne préserve le premier des deux prototypes, celui du vol inaugural.
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