Avec le succès remporté par son avion Viscount, Vickers accepta avec optimisme le défi de répondre au cahier de charges de British European Airways (BEA) émis en 1953 pour un avion de ligne court/moyen courrier. Parmi les exigences de BEA: une aile haute, une capacité d’une centaine de passagers, une vitesse de croisière de 690 km/h et une autonomie minimale de 1600 km. Par coïncidence, au même moment, Trans-Canada Air Lines (TCA) est à la recherche d’un avion de ligne capable de desservir ses liaisons continentales.
L’équipe de conception de Vickers s’est donc mise au travail afin de répondre aux besoins des deux transporteurs, déjà utilisateurs du Viscount. La proposition initiale de Vickers, connue sous le nom de Type 870 ou Viscount Major, ne remplissait pas les critères de BEA et fut rapidement rejetée. À l’évidence, un avion plus performant était nécessaire. Les autorités de Vickers rencontrèrent celles de Rolls-Royce pour discuter de moteurs potentiels pour l’avion de ligne envisagé. Il fut décidé d’adopter le turbo-propulseur Rolls-Royce Tyne en cours de développement. Environ deux fois plus puissant que le moteur Rolls-Royce Dart du Viscount, il permettait d’augmenter à la fois la vitesse et l’altitude de croisière. Bien que l’option de turboréacteurs fut également considérée, une analyse comparative concluait que les turbo-propulseurs Tyne auraient des performances fort adéquates sur des vols court/moyen-courrier, tout en étant moins gourmands en carburant.
Malgré la préférence initiale de BEA pour une aile haute, la compagnie a finalement opté pour une aile basse après l’adoption d’un fuselage dit à double bulle comme celui du Boeing 377 Stratocruiser. Ce type de fuselage s’imposait en raison de la grande proportion de fret que BEA souhaitait transporter, en plus des passagers. De plus, TCA voulait une aile basse, ce qui rendrait l’avion plus facile à ravitailler, à dégivrer et à entretenir, tout en améliorant les chances de survie des passagers en cas d’amerrissage forcé. Alors que BEA envisageait des itinéraires relativement courts pour ce nouvel avion, TCA souhaitait une autonomie considérablement accrue compte tenu des distances plus grandes à parcourir en Amérique. Des réservoirs de carburant de plus grande capacité furent donc nécessaires. Afin de répondre aux nouveaux besoins de Vickers, Rolls-Royce entreprit d’augmenter la puissance de son moteur Tyne, qui passa de 2750 ch à plus de 4000 ch de puissance unitaire. Le 20 janvier 1959, le premier prototype de Type 950, plus tard nommé Vanguard, effectua son vol inaugural. Afin de répondre aux besoins particuliers de BEA et de TCA, trois versions du Type 950 furent conçues.
Destiné à BEA, le Type 951 effectua ses premières liaisons entre Londres et Paris, juste à temps pour la période de Noël en 1960. Le Vanguard 951 était aménagé en configuration de 18 places de première classe et de 108 sièges en classe économique. BEA souhaita rapidement disposer d’une version haute densité de l’avion. Ainsi apparût le Type 953 pouvant accueillir 135 passagers en classe unique. Cette configuration permettait des coûts d’exploitation encore plus faibles. Six appareils Vanguard 951 et quatorze Vanguard 953 furent finalement livrés à BEA. Ces deux versions était équipés de turbo-propulseurs Rolls-Royce Tyne 506 d’une puissance unitaire de 4985 ch. Sur des vols allant jusqu’à 480 km, comme ceux reliant Londres à Paris, Bruxelles et Amsterdam, le Vanguard pouvait pratiquement égaler le temps de vol des avions à réaction introduits au début des années 1960. Ces appareils Vanguard furent incorporés dans la flotte de British Airways (BA), créé en 1974 suite à la fusion de BEA et de British Overseas Airways. Toutefois, dès juin 1974, les vols de passagers à bord des appareils Vanguard aux couleurs de la toute nouvelle British Airways cessèrent.
Les Vanguard 951 et 953 ne répondant pas aux exigences de TCA en matière de charge utile de fret en soute pour ses lignes à plus longue distance, une version canadienne fut conçue. La capacité de poids maximal fut portée de 61235 kg à 63957 kg grâce au Type 952. Cela nécessita le renforcement de la cellule de l’avion. Du coup, le Vanguard 952 fut équipé de moteurs plus puissants, soit des turbo-propulseurs Rolls-Royce Tyne 512. Satisfaite de cette version, TCA commanda 23 appareils Vanguard 952, dont le premier entra en service en février 1961. En 1965, la livrée des Vanguard 952 fut changé pour celle d’Air Canada, la nouvelle identité de TCA. Assurant aussi bien des liaisons dans le corridor le plus densément peuplé du Canada, soit l’axe Québec, Montréal, Ottawa et Toronto, les Vanguard 952 furent également utilisés pour de liaisons plus longues, avec escale, jusqu’à Vancouver. La desserte de grandes villes américaines fut également assurée par les Vanguard à feuille d’érable. En saison hivernale, les Vanguard 952 firent également la joie des touristes en effectuant des vols vers les destinations soleil de la Floride, des Bermudes et des Caraïbes.
En 1966, Air Canada a retiré tous les sièges d’un de ses Vanguard 952 et l’a réaménagé pour le transport de 19 tonnes de fret. Connu sous le nom de Cargoliner, il s’agissait de la seule conversion de ce type. Cet appareil, fut le dernier Vanguard à être retiré du service chez Air Canada à la fin de 1972. Cela donna l’idée à BEA de convertir neuf de ses appareils Vanguard en version tout-cargo subséquemment nommés Merchantman. Les Merchantmen entrés en service à compter de 1969, seront en service chez British Airways jusqu’à la fin de 1979.
Tant chez TCA/Air Canada que chez BEA/British Airways, la carrière des Vickers Vanguard fut de courte durée, malgré leurs qualités indéniables et leurs faibles coûts d’opération. Retraités de ces deux grands transporteurs nationaux, les Vanguard connaîtront une seconde carrière sous les couleurs d’opérateurs spécialisés dans le nolisement (charter) et le cargo aérien. Mentionnons Invicta Airlines (G.B.), Air Bridge Carrier (G.B.), Merpati Nusantara (Indonésie) et Air Trader (Suède). En France, des appareils Vanguard furent aussi utilisés par Europe Air Services et Air Occitan. Air Bridge Carriers, devenu Hunting Cargo Airlines en 1992, fit voler le dernier Merchantmen jusqu’en 1996. Aujourd’hui exposé au Brooklands Museum en Grande-Bretagne, cet appareil est l’unique Vanguard préservé dans le monde.
Rapide et manoeuvrant bien, le Vanguard était très apprécié des pilotes disposant d’un poste de pilotage spacieux et offrant une excellente visibilité. Même en classe économique, les passagers disposaient de sièges plus grands et un confort supérieur à celui de n’importe quel avion de ligne à hélices de l’époque. Aussi, les hublots ovales surdimensionnés du Vanguard offraient aux passagers des vues incomparables. Enfin, le Vanguard était construit comme un char d’assaut, assurant ainsi sa longévité. Malgré les grandes qualités du Vanguard, son lancement en 1959 coïncida avec l’arrivée des premiers avions de ligne à réaction. Plus rapides, plus silencieux et moins affectés par les vibrations, ces nouveaux avions firent fureur auprès des voyageurs. C’est à contre-coeur que TCA et British Airways se départissent rapidement de leurs Vanguard pour répondre à l’engouement pour ce nouveau mode de transport. Au final, seulement 44 exemplaires du Vanguard furent assemblés, prototype inclus.
Côté militaire, le Vanguard ne connût aucun succès. Le Vanguard fut initialement considéré par la RAF désireuse de trouver un successeur à ses avions de patrouille maritime Avro Shackleton. Mais les Britanniques choisirent finalement le BAe Nimrod, dérivé du DH.106 Comet. Plutôt qu’opter pour un avion inexportable, les Britanniques auraient mieux fait de s’inspirer des Américains. Malgré des ventes anémiques côté civil, le Lockheed L-188 Electra fut sélectionné comme plate-forme pour ce qui deviendra le très réussi P-3 Orion fabriqué à plus de 750 exemplaires. N’eût été de la myopie des militaires britanniques, le Vanguard volerait sans doute encore sous cocardes militaires.
On aurait pu croire qu’avec les échecs commerciaux de l’Electra et du Vanguard, l’avenir était dorénavant exclusivement voué aux avions de ligne à réaction. C’était sans compter sur les chocs pétroliers de 1973 et de 1979 qui mirent à mal les lignes aériennes avec leurs avions à réaction gourmands en carburant. Du coup, une nouvelle génération d’avions de ligne turbo-propulsés vit le jour. À ce jour, seul le Dash 8-400 a toutefois des capacités et des performances qui s’approchent de celles du Vanguard, un avion surdoué mais pratiquement oublié aujourd’hui.
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