Casa 2.111

Affichant sa neutralité durant la Seconde Guerre mondiale l’Espagne franquiste se mit à l’abri des Alliés tout en entretenant d’excellentes relations diplomatiques avec ses anciens partenaires fascistes et nazis. Utilisant depuis sa guerre civile de 1936-1939 des avions de factures allemandes et italiennes elle chercha dès les années 1940 à les moderniser à moindre frais afin de maintenir les dits appareils en état de vol le plus longtemps possible. Dans le même temps la dictature Franco cherchait à asseoir son industrie aéronautique. C’est ainsi que cette dernière se fit une spécialité dans l’hybridations d’avions allemands avec des équipements d’origine américaine ou britannique. L’un des exemples les plus criants fut le bombardier de reconnaissance Casa 2.111.

En 1942 le général Francisco Franco est au fait de son pouvoir, il a réduit à néant toute résistance républicaine et établit sa dictature ultranationaliste. Ses forces armées dépendent alors en quasi totalité du bon vouloir des Allemands et des Italiens en terme de fourniture de matériels. L’Ejército del Aire n’y fait alors pas exception. Malgré l’acquisition de quelques Dornier Do 17 et Junkers Ju 86 le gros des missions de bombardement est alors réalisé par des Heinkel He 111, jugés bien meilleurs que les deux autres modèles. Madrid négocie alors avec Berlin l’autorisation de faire produire deux cents He 111H-16 dotés chacun de deux moteurs Junkers Jumo 211F-1 d’une puissance unitaire de 1325 chevaux. Les administrations nazies et franquistes tombent d’accord mais la réalité de la Seconde Guerre mondiale rattrapent le contrat. La Luftwaffe appose un refus catégorique que ces moteurs ô combien stratégiques pour elle ne quittent l’Allemagne pour aller équiper une aviation neutre. Berlin somme alors Madrid de se débrouiller seule si elle veut motoriser ses He 111H-16 produits localement par Casa. L’avionneur espagnol cherche alors des alternatives mais sans succès.

Des ingénieurs envisagent alors le Daimler-Benz DB 601 mais là encore la Luftwaffe s’y oppose tout comme pour le Hispano-Suiza 12Y français. Rome entre alors dans les négociations en proposant son Isotta Fraschini Asso XI, un moteur ayant fait ses preuves notamment sur l’hydravion patrouilleur CRDA- CANT Z.501 Gabbiano. Malheureusement pour l’Espagne la partition de l’Italie en deux états, l’un fasciste et l’autre républicain, fait capoter l’affaire. À l’été 1944 ce Casa 2.111, sa désignation officielle semble avoir un avenir bien bouché. En fait c’est la Libération qui va jouer en sa faveur. Avec l’accord des Alliés la France propose d’exporter à l’Espagne un lot de Junkers Jumo 211F-2 pleinement compatible avec le He 111H-16. Cent cinquante-deux traversent alors les Pyrénées mais seuls cent dix-sept sont au final utilisables. Les autres serviront de stocks de pièces détachées par cannibalisation. Grâce à différentes filières l’Espagne réussit ensuite à acheter treize Jumo 211F-2 en état de marche. Au final elle possède donc de quoi assemblé soixante-cinq bombardiers moyens.

Lorsqu’il réalise son premier vol le 23 mai 1945 le Casa 2.111 n’est ni plus ni moins qu’une copie de Heinkel He 111H-16. Quelques petites différences se voient cependant comme des mitrailleuses italiennes en lieu et place de certains modèles allemands ou encore un poste de pilotage entièrement en espagnol. L’Ejército del Aire ne se satisfait alors pas d’un nombre aussi faible d’avions, et ce même si elle n’a rien à craindre de ses deux voisins directs, la France et le Portugal. Les premiers exemplaires entrent en service en 1947.
Mais déjà l’avionneur espagnol a jeté son dévolu sur un moteur réputé bien plus fiable que le Jumo 211F-2 allemand : le Rolls-Royce Merlin britannique. L’idée de greffer un tel moteur sur un avions aux origines allemandes peut sembler saugrenue mais elle n’a en fait à cette époque rien d’extraordinaire. Un concurrent de Casa appelé Hispano Aviacion a alors la même démarche pour son chasseur Ha-1109 dérivé lui du fameux Messerschmitt Bf 109.
Les tractations sont cependant longues entre Madrid et Londres. Dix ans après le premier vol du prototype du Casa 2.111 les deux capitales tombent d’accord. Les premiers moteurs britannique arrivent en Espagne en avril 1956. L’avionneur va enfin pouvoir terminer le chantier de son avion, initié quatorze ans plus tôt. À époque cela représente un délai extrêmement long.

Dans l’Ejército del Aire les avions d’origine, à moteurs allemands, deviennent des Casa 2.111A tandis que ceux dotés de moteurs anglais sont désignés 2.111B. Il s’agit dans les deux cas de bombardiers moyens pouvant larguer respectivement 1800 et 2000 kilogrammes de bombes. Dans le même temps l’état-major espagnol rappelle qu’il a besoin d’avions de reconnaissance et les stocks de Rolls-Royce Merlin permettent d’en produire. On transforme alors dix 2.111A en réduisant leur charge de bombes et en y ajoutant des appareils photos en 2.111C tandis que vingt nouveaux 2.111D sont produits autour des moteurs britanniques et en ramenant la charge offensive à 1250 kilogrammes. Là encore des appareillages de prise de vue sont ajoutés. Deux avions sont également alors construits comme Casa 2.111E de transport de hautes personnalités, spécialement pour les besoins du dictateur Franco et de sa famille. Chacun pouvant alors accueillir six passagers dans un confort assez sommaire malgré l’emploi de bois précieux. Enfin quatre 2.111B ont été livrés avec des doubles commandes pour la transformation opérationnelle sous la désignation de 2.111F.

En fait la carrière opérationnelle du Casa 2.111 a été assez modeste, voire médiocre. Il n’a été engagé comme bombardier qu’à une seule reprise lors des combats de 1957-1958 contre le Maroc, notamment au-dessus des villes d’Ifni et de Tarfaya sur la côte Atlantique. Les résultats de ces raids ont été jugés décevants par le stratèges espagnols. Le gros de ses vols s’est vite résumé à des reconnaissances tactiques et à de la surveillance frontalière, et même au-dessus des Pyrénées. Quand il a été retiré du service en 1973 après seize ans de carrière il n’a d’ailleurs pas vraiment été remplacé, l’Espagne ayant alors tourné le dos aux missions de bombardements.

Pour autant le Casa 2.111 est véritablement un avion mythique. Durant les années 1960 et 1970 il n’était en effet pas rare que des productions hollywoodiennes aient recours à ces avions militaires espagnols (et démilitarisés à partir de 1973) pour incarner des Heinkel He 111. Un coup de peinture, une ou deux Balkenkreuz, une ou deux croix gammées, et hop les réalisateurs avaient sous les yeux des bombardiers allemands de 39/45. Cela fit parfaitement illusion, y compris sur des superproductions comme « La Bataille d’Angleterre » en 1969, « Patton » l’année suivante, ou encore… « Midway » en 1976 alors même que l’action de ce film se déroule dans le Pacifique. En 1981 dans le film « À nous la victoire » on voit là encore des Casa 2.111 mais il s’agit de rushs non utilisés et recyclés pour l’occasion à partir de « La Bataille d’Angleterre« .

À bien des égards, et malgré une carrière assez chaotique, le Casa 2.111 est un avion fort intéressant. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si plusieurs sont aujourd’hui préservés dans des musées un peu partout dans le monde. À Madrid évidemment au Museo del Aire mais aussi au Bourget au Musée de l’Air et de l’Espace. L’exemplaire français est un appareil de reconnaissance tactique. Comble de l’ironie deux appareils sont exposés en Allemagne, pays d’origine du Heinkel He 111. Le prestigieux Technik Museum lui a même offert une livrée type Luftwaffe avec le code tactique 5J+GN. Là encore le bombardier espagnol joue aux acteurs.