Il y a 50 ans, le 30 avril 1975, la chute de Saïgon aux mains des forces communistes vietnamiennes marqua la fin d’une longue et sanglante guerre débutée en 1946 dans ce qui s’appelait à l’époque l’Indochine. Nos lecteurs d’un certain âge se souviendront des images dramatiques des dernières évacuations effectuées par des hélicoptères alors que les blindés nord-vietnamiens entraient dans la capitale sud-vietnamienne. Entassés sur le pont d’envol du porte-avions USS Midway, nombre d’hélicoptères furent balancés par-dessus bord pour faire place aux nouveaux venus, alors que d’autres étaient contraints d’amerrir non loin des navires. La déconfiture française, puis américaine, face à un peuple déterminée à expulser les forces étrangères occupant son territoire est une leçon d’histoire que certains dictateurs actuels auraient avantage à se remémorer.

Afin de combattre la progression du communisme au Viêt Nam, les Américains y déployèrent leurs premiers militaires au début des années 1960. Incitant d’autres pays à se joindre à leur croisade, la Corée du Sud deviendra le principal allié des États-Unis durant ce conflit, suivi de l’Australie, de la Thaïlande et de la Nouvelle-Zélande. Bien qu’ayant participé à la Guerre de Corée, le Canada refusa de déployer des troupes au Viêt Nam malgré les demandes répétées des États-Unis. Pire, le Canada devint la terre d’accueil pour des dizaines de milliers de jeunes Américains fuyant la conscription. D’autres, comme l’actuel locataire de la Maison Blanche, eurent plutôt recours à des certificats médicaux de complaisance les déclarant faussement inaptes au service militaire.
Fait moins connu, approximativement 30 000 jeunes Canadiens ont franchi la frontière dans le sens inverse pour se joindre aux forces armées américaines. Naïvement attirés par l’aventure, environ 12 000 d’entre-eux lutteront en première ligne et 160 de ces soldats seront tués ou portés disparus. Parmi les victimes, mentionnons l’un des fils du général Jacques Dextraze, un héros de la Deuxième Guerre mondiale et de la Guerre de Corée.
Qualifiée de « guerre sale » par une opinion publique de plus en plus opposée à ce conflit, les vétérans de retour à la maison n’eurent guère droit aux honneurs, faisant même face au mépris d’une bonne part de leurs compatriotes. Les Canadiens ayant participé au conflit n’eurent jamais aucune reconnaissance officielle de leur statut de vétéran au Canada. Malgré la neutralité affichée par le Canada face à cette guerre, l’industrie canadienne a néanmoins fourni véhicules, munitions et autres fournitures militaires aux États-Unis. Côté aéronefs, trois avions canadiens se sont distingués au Viêt Nam, dû à leur capacités ADAC exceptionnelles.
Qualifié de Jeep volant, l’avion de brousse De Havilland Canada DHC-2 Beaver qui avait fait ses preuves durant la Guerre de Corée, fut également déployé en grand nombre au Viêt Nam. Évacuation de blessés, transport léger, reconnaissance, sauvetage, photographie aérienne étaient au menu du versatile Beaver. Secret bien gardé à l’époque, le RU-6A Beaver fut le premier avion utilisé par l’armée américaine pour détecter les émetteurs radio ennemis. Équipé d’antennes spéciales et d’un système de radiogoniométrie aéroporté, les RU-6A constituaient une excellente plateforme pour localiser les centres de commandement tapis dans la jungle, permettant ainsi de cibler des frappes.

Également déployés en grand nombre au Viêt Nam par l’US Army, les Camions volants DHC-3 Otter firent merveille pour approvisionner les bases avancées simplement munies de courtes pistes boueuses. Tout comme le Beaver, l’Otter pouvait également se poser sur de simples routes ou même en plein champ. Le U-1A Otter pouvait transporter soit 1,3 tonnes de fret, 9 soldats équipés ou 6 civières. Nombre de soldats blessés en première ligne furent évacués, tant par les rustiques U-6 Beaver que les U-1A Otter. Le U-1A était également utilisé pour déposer et récupérer de forces spéciales infiltrées en territoire ennemi.

Conscient des limites de ces avions légers, malgré leurs qualités indéniables, l’US Army incita De Havilland Canada à concevoir un avion bimoteur de transport tactique. Volant pour la première fois en 1958, deux prototypes du DHC-4 Caribou furent initialement livrés au gouvernement canadien, ainsi que cinq appareils à l’US Army à des fins d’évaluation. Doté d’une porte arrière pour faciliter le chargement de véhicules légers, de canons ou de marchandises sur palettes, le Caribou pouvait emporter jusqu’à 4 tonnes de fret. Le Caribou nécessitait seulement 220 mètres de piste pour décoller, et 200 mètres pour atterrir. Impressionnés par les performances ADAC exceptionnelles du Caribou, les Américains en commandèrent 160 exemplaires additionnels qu’ils désignèrent initialement CV-2, puis C-7 lorsqu’ils furent transférés à l’US Air Force en 1967. La plupart des appareils Caribou américains vont servir brillamment durant la guerre du Viêt Nam. Surnommés Wallaby, l’Australie va également aligner une dizaine de leurs DHC-4 au Viêt Nam, sur la trentaine commandés.

Les principaux avions américains de transport tactique utilisées durant ce conflit, soit le bimoteur Fairchild C-123 Provider et le quadrimoteur Lockheed C-130 Hercules avaient certes une capacité d’emport supérieure au Caribou. Toutefois, le Caribou avait un net avantage sur ces avions plus gros. Incapables d’utiliser les pistes extrêmement courtes et rudimentaires de la quarantaine d’avant-postes de combat pour la plupart situées le long des frontières du Laos et du Cambodge, le Caribou était l’alternative taillée sur mesure pour cette mission. Surnommé Bou par ses équipages, le Caribou était un véritable bourreau de travail qui évoluait chaque jour du lever au coucher du soleil, opérant dans la chaleur, l’humidité, la poussière et la boue, des basses terres du delta du Mékong jusqu’aux imposantes régions montagneuses des hauts plateaux.

Il arrivait fréquemment que les Caribou atterrissent sous le feu des obus et des roquettes ennemis. Encaissant les coups, nombre de Caribou gravement endommagés ont tout de même ramené leurs équipages à bon port. Toutefois, une vingtaine d’appareils furent perdus durant le conflit. Une photo terrifiante d’un Caribou touché par un tir d’artillerie fratricide, lors de son approche du camp des forces spéciales de Duc Pho, rappelle la dangerosité de ces missions. Sa queue sectionnée par un obus, le Caribou plongea vers le sol, ne laissant aucune chance aux trois membres de l’équipage.

Sur une note plus joyeuse, certains Caribous étaient décorés en Santa-Bou durant la période Noël. Ces derniers parachutaient des friandises au-dessus des camps et des villages isolés. Aussi, quelques appareils Caribou effectuèrent des missions clandestines aux couleurs de Air America, la célèbre compagnie paravent de la Central Intelligence Agency (CIA). D’autres furent spécialement équipés afin de servir de relais de communication au-dessus des théâtres de combat. Lors du retrait graduel des forces américaines du Viêt Nam à compter de 1971, l’US Air Force céda la majeure partie de sa flotte de C-7 Caribou à l’armée de l’air sud-vietnamienne. Lorsque le Sud Viêt Nam tomba aux mains des communistes en 1975, ces Caribou furent utilisés pendant un temps par le nouvel État vietnamien unifié.

Un demi-siècle après la fin de cette guerre, l’occasion est belle pour souligner le rôle méconnu des volontaires canadiens ayant combattu si loin de leur pays, ainsi que de ces avions également venus du froid pour servir dans la chaleur oppressante du Viêt Nam. Rappelons aussi que près de 200 000 réfugiés vietnamiens, fuyant le régime communiste, ont trouvé refuge au Canada et se sont particulièrement bien intégrés à la population francophone du Québec. Fait insolite, une quarantaine d’années après la chute de Saïgon, les premiers aéronefs occidentaux acquis par la République socialiste du Viêt Nam à des fins militaires furent… des DHC-6 Twin Otter 400 canadiens ! Au Bar de l’escadrille, je lève mon verre de Bia hio (bière fraîche) aux vétérans des deux camps de cette horrible guerre qui semble aujourd’hui si lointaine.


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9 réponses
La dérive du DHC-4 est énorme par rapport à la taille de l’avion.
La taille de la dérive doit compenser l asymétrie créée par les moteurs. Plus les moteurs sont puissants plus la dérive est grande. Pour l a400m afin d avoir une dérive de taille modeste compte tenue de la puissance des moteurs, les moteurs ne tournent pas dans le même sens. Voilà 😉
Je ne savais pas que les américains avaient employé des avions canadiens au Vietnam. Ils ne fabriquaient pas d’avions mieux ?
Les Américains se résignent à acheter des aéronefs étrangers quand ils n’ont rien de mieux ou d’équivalent.
Merci on apprend bien des choses ici !
Moi aussi j’apprends en fouillant le sujet lors de la rédaction d’un article. Du coup, un plaisir partagé !
Bonjour Marcel. Il arrive aussi en France que les restes de vétérans soient retrouves sur le champs de bataille de l Indochine. Les autorités vietnamienne n hésitent pas à autoriser des archéologue français à se déplacer pour récupérer les dépouilles
Un article historique passionnant Marcel. Il faut souligner que les De Havilland Canada RU-6A Beaver engagés au Vietnam l’étaient dans le cadre du programme Seven Roses. Leur goniomètre embarqué était un AN/PRD-1. Il est par ailleurs à signaler que l’US Army employa un RCV-2 Caribou dans le cadre du programme de guerre psychologique Sure Thing. Des RU-1 Otter existèrent également mais ne furent pas engagés en Asie du Sud-Est. Ils furent par contre utilisés à proximité de Cuba, mais c’est là une autre histoire.
article passionnant a lire, j’ignorai l implication des avions canadiennes et canadiens qui ont osé aller faire la guerre la bas, avec aussi peu de reconnaissance que nombre de soldats US….
un article de tres bonne qualite