Avec le Boeing F-47 Donald Trump veut tuer les GCAP et SCAF européens.

À bien des égards la récente révélation de la victoire de Boeing au programme NGAD bouscule le monde aéronautique. Initialement prévu pour ne fournir qu’à la seule US Air Force un avion de domination aérienne désormais il doit aussi permettre des exportations vers les pays partenaires (et non plus forcément alliés) des États-Unis. En filigrane se dessine une guerre commerciale impitoyable dont les victimes désignées par l’actuel Président des États-Unis sont sur le Vieux Continent. Plus que jamais il faut que les Européens soient forts et unis, et que les chauvinismes laissent la place au pragmatisme.

Exporter le vainqueur du NGAD. Il y a encore quelques mois une telle hypothèse aurait fait se bidonner à peu près n’importe qui s’intéressant de près ou de loin à l’aéronautique militaire. En effet dès le départ le concept de domination aérienne et non plus de supériorité aérienne, initié avec le Boeing F-15EX Eagle II, était tellement onéreux que par réalisme les généraux américains savaient pertinemment que les acheteurs potentiels se compteraient sur les doigts d’une seule main. C’était compter sans le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump. Nous ne le dirons jamais assez mais cet homme n’a rien du politicien classique auquel l’Amérique nous a habitué depuis Franklin Delano Roosevelt. C’est un businessman bien plus qu’un homme d’institutions. Avant de diriger son pays il avait uniquement pris la tête d’entreprises sans jamais être élu nul part. Forcément cela se fait ressentir dans sa manière de gérer son pays et les affaires étrangères.

Depuis Roosevelt donc les pays européens, d’abord de l’ouest puis de l’ensemble du continent, étaient à la fois des alliés, des partenaires économiques, et souvent aussi des concurrents. Pourtant les cas où l’Amérique a tenté de «tuer le game» avec les Européens sont finalement assez rares. En aéronautique les deux plus célèbres avions dans ce genre sont le superbe BAC TSR.2 britannique et le non moins magnifique Dassault-Breguet Super Mirage 4000 français. Et encore dans les deux cas la faiblesse d’investissement des politiques locaux a bien souvent aidé les avionneurs américains. On se souviendra que Valéry Giscard d’Estaing, alors Président de la République, n’avait aucun entrain pour l’avion sorti des bureaux d’études clodoaldiens.

Pour Donald Trump donc le Boeing F-47 se devra d’être un dominateur dans tous les sens du terme. Il le sera dans le ciel. C’est le moins qu’il puisse faire aux vues des milliards de dollars US que le contribuable américain va devoir débourser dans la décennie à venir pour qu’il soit au point et qu’il devienne opérationnel. Il devra aussi l’être sur le marché international. Et ça c’est une vraie nouveauté, on ne le dira jamais assez. Car il va devoir faire aux programmes européens GCAP d’un côté et SCAF de l’autre ce pourquoi il a été pensé : tout détruire. Pour le Boeing F-47 ils ne seront pas des adversaires comment peuvent l’être le Dassault Aviation Rafale et l’Eurofighter EF-2000 Typhoon vis-à-vis du Lockheed-Martin F-35A Lightning II. Non ils seront des ennemis. Commerciaux certes mais bel et bien des ennemis comme le seront sur le plan militaire le futur Mikoyan MiG-41 russe d’un côté et, les Chengdu J-36 et Shenyang J-50 chinois de l’autre. L’Amérique usera alors de techniques bien plus agressives qu’elle ne l’a fait jusque là. C’est dire. Et Donald Trump a déjà commencé, à coup de son argumentaire favori : les fakenews.

Pour bien comprendre à quel point l’idée d’exporter le Boeing F-47 a quelque chose d’ahurissant il est bon (une fois encore) de regarder un petit coup dans le rétroviseur. L’histoire aéronautique peut nous aider comme elle l’a fait avec la désignation même de ce futur chasseur. Tout d’abord si le principe fondateur du NGAD de domination aérienne remonte donc au Boeing F-15EX Eagle II il découle en fait de celui de supériorité aérienne qui dans l’US Air Force est bien plus ancien. Le premier avion en question est entré en service en septembre 1950 et s’appelait Northrop F-89A Scorpion. Il fut suivi en avril 1956 par le Convair F-102 Delta Dagger. Tous deux étaient bien plus que de simples intercepteurs, ils posaient les bases de la supériorité aérienne de par leur armement et leur avionique. Si le premier ne fut pas exporté le second connut deux contrats : la Grèce et la Turquie. Dans les deux cas c’est l’OTAN qui les favorisa. Le même avionneur fournit d’ailleurs à partir de juin 1959 celui qui est considéré comme le premier véritable intercepteur et chasseur de supériorité aériennes des États-Unis : le F-106 Delta Dart. Maniable, rapide, bien armé il allait durablement marquer l’US Air Force. Au point même qu’il fallut deux modèles différents de chasseurs pour le remplacer alors même qu’il n’avait jamais été exporté : le General Dynamics F-16A/B Fighting Falcon et le McDonnell F-15A/B Eagle. Seul ce second était dédié à la supériorité aérienne. Lui et sa version évoluée McDonnell-Douglas F-15C/D Eagle furent en fait les seuls «champions» à l’export avec des contrats signés auprès de l’Arabie Saoudite, d’Israël, et du Japon. Ce dernier pays fit même construire localement sa version par Mitsubishi. En décembre 2005 apparaissait le premier chasseur de supériorité aérienne de 5e génération : le Lockheed-Martin F-22A Raptor. Et comme les F-89A Scorpion et F-106 Delta Dart avant lui il n’a jamais été vendu à l’export, même pas aux plus fidèles alliés et partenaires de l’Amérique. Et après lui ? Le déluge. Enfin pardon le Boeing F-47.

J’en entends déjà d’ici hurler qu’il y a des trous dans la raquette, que j’ai oublié le McDonnell F-4 Phantom II. Et ils auront tort. On n’oublie jamais le F-4 Phantom II ! En fait s’il a bien rempli de telles missions il n’a jamais été conçu pour cela. C’est un chasseur-bombardier, sans doute le dernier, et qui a posé les bases des actuels chasseurs multi-rôles. Il a bien mené des missions de supériorité aérienne mais sans vraiment être convaincant dans ce rôle. D’autres me rétorqueront que j’ai oublié les F-15K Slam Eagle sud-coréens, les F-15QA Ababil qataris, les F-15S Saudi Eagle saoudiens, et les F-15SG Silent Eagle singapouriens. Et eux aussi auront tort. Car ces quatre sous-versions sont en fait issues du McDonnell-Douglas F-15E Strike d’Eagle et ne sont donc nullement des avions de supériorité aérienne. Ce sont des avions d’attaque au sol et de pénétration optimisés pour une action multi-rôle.

Au final donc oui les avions américains de supériorité aérienne peuvent s’exporter, mais c’est globalement rare, et fondamentalement au plus petit dénominateur commun de clients. On remarquera d’ailleurs l’absence notable de deux alliés de poids de l’Amérique : la France et le Royaume-Uni. Tous deux ont toujours tenu à garder une certaine indépendance vis-à-vis des USA sur cette mission de souveraineté qu’est la supériorité aérienne. Des avions comme respectivement le Sud-Ouest SO.4050 Vautour d’un côté et le BAC Lightning de l’autre les y ont grandement aidé.

D’ailleurs Britanniques et Français ne seront pas clients du Boeing F-47 de domination aérienne. Ou plutôt ils ont à peu près aussi peu de chances de l’être que les Chinois ou les Russes. Et pour cause ils dirigent chacun de leur côté les deux programmes européens concurrents du vainqueur du programme NGAD. Le GCAP agrège Britanniques, Italiens, et Japonais quand le SCAF réunit Allemands, Belges, Espagnols, et Français. Avec de telles pertes potentiels de clientèles on comprend que l’homme d’affaires Donald Trump en ait gros sur la patate. Surtout son agressivité devrait faire prendre conscience aux acteurs de ces deux programmes européens qu’il est grand temps d’arrêter de se chamailler et qu’il est plus que temps de commencer à travailler en équipe. Je ne prétends pas qu’il faille mutualiser GCAP et SCAF je dis juste que les querelles de clochers et les chauvinismes bas du plafond doivent s’arrêter nets. Car de l’autre côté de l’Atlantique nord la Maison-Blanche a un business plan bien préparé et celui ci passe par l’annihilation des programmes européens.

Alors au final qui en Europe pourrait acheter le Boeing F-47 quand on sait qu’en face de lui il aura les résultats des programmes GCAP et SCAF ? Bah en fait théoriquement personne, sauf peut-être la Pologne. Et hors UE ? Cela semble très compromis pour le Canada, sauf si celui-ci venait à ne plus exister devenant le 51e état américain mais il ne s’agirait alors pas d’une exportation. On pourrait envisager l’Inde ou des états du Golfe mais là encore le marché est vraiment marginal. Tout ça pour ça.

Affaire à suivre.

Photo © US Air Force.


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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

19 réponses

  1. Tous ces programmes doivent être accompagnés de drones, ce sont également les performances de ces derniers qui feront la capacité de ces futurs avions.

  2. Juste quelques observations complémentaires…
    1- L’agressivité commerciale américaine a toujours existé, et peu importe le camp, démocrate ou républicain. Ainsi, c’est quand même avec des canonnières que les USA ont forcé le Japon à ouvrir ses frontières au commerce en 1853…. On a l’exemple récent de Biden avec les sous marins australiens, et Obama n’était pas en reste.
    En matière d’aviation, il me semble avoir vu que pendant la 2e GM, les américains avaient prévu des traités « empêchant » la Grande Bretagne de créer de nouveaux avions de transport, pour pouvoir fourguer DC-3 et DC-4, sauf à modifier des appareils existants, ce qui a donné l’Avro York sur la base du Lancaster etc.
    2- D. Trump a 78 ans et le F-47 (s’il reste avec ce nom….) ne sera pas disponible avant quelques années et, donc sans le Président actuel, même s’il reste au pouvoir après son 2e mandat (comme il en rêve). Et ses « héritiers » (enfants de la dynastie trumpiste ou vice-président) ne sont pas « taillés » pour poursuivre l’agressivité commerciale….
    3- Après les errements manifestes du F-35, je comprends que les militaires US n’aient pas voulu de Lockheed Martin pour leur prochain avion, et ont préféré se tourner vers Boeing, lequel excelle dans la qualité : ravitailleur KC-46, le prochain Air Force One et les B737. Ces deux éléments pourront donner à réfléchir aux partisans d’un achat de matériel américain, d’autant que, vu la tournure actuelle de la géopolitique, il n’est pas certain que les européens achètent au meilleur ami de Poutine, et en particulier les Polonais dont les rapports avec la Russie résultent d’une histoire qui a laissé des traces indélébiles….. (l’achat d’un canon automoteur coréen est peut être un signe….). Comme vous dites, à suivre….

    1. Le président Trump finissant son mandat actuel à la Maison Blanche, il ne pourra pas être réélu…. C’est son vice-président qui pourra reprendre le flambeau (Vance) à l’occasion des nouvelles élections, et lui est bien pire que son boss. Il prendra Trump en vice-président et un petit tour de passe-passe à la Russe plus tard, l’énervé à la mèche blonde est de nouveau président….. Dans ce cas long, il est possible, à mon sens, que l’agressivité commerciale, porte ses fruits. Sinon, si c’est camp « d’en face » qui arrive au pouvoir , le soufflet retombe…. Mais vu leur silence assourdissant actuel

  3. Tuer la concurrence en promettant de vendre des versions moins performantes et ses alliés ?

    Drôle de technique de vente.
    Pas que qu’elle fonctionne.

  4. Analyse juste.Je pense néanmoins que les choses vont s’éclaircir dans les mois qui viennent. Le vrai juge de paix sera lorsqu’un pays qui initialement devait commander un F35 optera pour un autre appareil. J’ajoute que si le F47 vaudra 300 millions de Dollar ; quelle nation pourra se le permettre?

    1. Bonjour,

      Je pense au contraire :
      D’une : AUCUN PAYS ne quittera le programme F35
      De deux : Le juge de paix sera plus : est-ce que les protagonistes du GCAP et SCAF joueront franç jeux et ne préféreront pas plutôt torpilller les programmes Français et Anglais après avoir investi quelques milliards et laisseront ces pays au milieu du guet sans avoir les moyens de terminer seuls en échange d’avantages ou d’autorisations de poursuivre un peu’ les exportation vers les USA …. (Afin de clarifier, cela ne concerne pas QUE l’Allemagne mais TOUS les partenaires des USA, qui les tiennent par les b….. desolé 🙂 )

      Une fois le fabriquant du Rafale et de l’euro fighter à terre (fragilisation d’Airbus dans son ensemble) restera le coup de grâce envers justement Airbus …

    2. Ils feront probablement la même chose qu’avec le F35 (et aussi le F22 à l’usage exclusif des USA): minorer (jusqu’à l’outrance?) le prix de vente « officiel » et se rattraper avec des coûts « cachés » de MCO et d’évolution, très élevés. Est-ce une surprise?

  5. Donald et sa clique ne seront plus au pouvoir bien avant que le Boeing F-47 vole. Pour ce qui est d’une annexion du Canada aux USA, c’est tout aussi probable que la France s’intègre au Royaume-Uni ! Le Canada risque fort de se joindre à l’une ou l’autre des initiatives européennes.

    1. Nul ne peut prédire l’avenir et le pire n’est jamais sûr. Cela fait deux mois, seulement deux mois, que Mr Trump et ses acolytes exercent leur pouvoir sans limites apparentes. Même s’ils partent dans quelques temps ou aux prochaines élections, croyez-vous que les plaies ouvertes se refermeront d’un claquement de doigts et sans laisser de cicatrices? Ils font basculer le monde comme jamais, ils dézinguent à tout va et de quelque manière que ce soit, demain sera bien différent. Un tel abandon du bloc occidental, un tel alignement avec la RuSSie, il n’y a pas si longtemps, aurait probablement été qualifié de haute trahison aux USA et passible de la chaise électrique.

  6. Ca c’est un pavé signé Arnaud. Bravo pour la mise en perspective et pour l’analyse. Déjà j’aime pas le F35 alors ce F47 je vais pas plus l’apprécier. Mais vraiment l’article est plaisant à lire.

  7. Je pense que tout le monde en Europe est aussi de cet avis.
    Le soucis est le partage industriel et des droits et être sûr de ne pas avoir de blocage pour les exportations. C’est plus simple avec un produit vendu par un vendeur, F35 voire Rafale. Déjà quand on regarde l’EF-2000, on a presque autant de version que de pays partenaires. ça entraine des coûts d’évolutions très élevés. Qui est prêt à faire un avions avec uniquement un fabriquant par sous-ensemble, le plus performant évidemment ?
    On peut généraliser ça à tous les équipements militaires.

  8. Quid du Rafale F5? On le fait ou on passe au SCAF direct? Parce que… Il n’y a pas encore de commande… Enfin, je n’en ai pas entendu parler. Avec l’avalanche de nouveaux modèles, il risque de faire un peu vieux.

    1. Vu le calendrier du SCAF (Opérationnel vers 2040) il est tout à fait possible de voir le Rafale F5 avant (prévu pour 2033 normalement).
      Sauf erreur de ma part, le standard F5 doit permettre au Rafale de se rapprocher des caractéristiques d’un avion de 5ème génération notamment avec la gestion des futurs drones collaboratifs. Le développement d’un des programme d’exclu pas l’autre.

  9. Un autre client au potentiel important pour le F47 : Israël, pays en guerre perpétuelle avec ses voisins (plus ou moins lointain), notamment l’Iran et sa menace grandissante d’une arme atomique en construction.

    1. Mais Popeye quand le Boeing F47 volera Bibi Nethanyaou ne sera plus qu’un vilain souvenir pour Israël. Je ne suis pas certaine que Tsahal choisisse alors un avion qui dépassera les 150 millions de dollars la pièce. Israël n’est pas un pays riche, c’est pour ça qu’il cherche à tout coloniser en Palestine.

  10. Bonjour Arnaud et aérophiles,

    Trump vient, avec sa nouvelle doctrine de dire aux Européens qu’il ne fallait pas compter sur lui pour les protéger. Or, nombre de petits pays se fournissent outre Atlantique en échange de la protection du parapluie atomique. Belges, Néerlandais, Danois, Norvégiens, Suisses, Autrichiens… continueront ils à acheter américain sans ce parapluie ? L’administration Trump a-t-elle prise en compte cet aspect ?

    J’y vois un marché non négligeable pour les programmes européens. Et à ma liste, on pourra y ajouter les anciens pays du Pacte de Varsovie, sauf Pologne.

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