Lors du salon aéronautique ILA Berlin tenu en juin dernier, les partenaires du programme Persistent German Airborne Surveillance System (PEGASUS) ont annoncé avoir franchi une étape importante. Ce partenariat canado-allemand est formé des entreprises allemandes Hensoldt, et Lufthansa Technik Defense, ainsi que la canadienne Bombardier Défense.
Développé par Hensoldt, la solution Kalaetron Integral sera le système de renseignements d’origine électromagnétique (ROEM) intégré à des avions Bombardier Global 6000 modifiés en conséquence. Bombardier s’est vue confier la tâche d’effectuer les travaux de modification des avions, en collaboration avec Lufthansa Technik Defense qui procédera à l’installation du système à son centre de missions spéciales de Hambourg, en Allemagne. Le premier avion modifié est sorti en juin dernier des installations de Bombardier Défense à Wichita aux États-Unis et peut dorénavant débuter ses vols d’essais. La modification de deux autres Global 6000 est en cours.
Pour ceux moins familiers avec le concept ROEM (SIGINT en anglais), le système Kalaetron Integral couplé au Global 6000 fournira un nouvel atout stratégique aux Forces armées allemandes pour la reconnaissance aérienne de vastes zones en intégrant les renseignements recueillis à partir des signaux radar et des signaux de communication, tout en se tenant à distance sûre des menaces potentielles. Parmi les tâches dévolues au système, notons le suivi de l’emplacement des mouvements de l’ennemi, l’identification de sa structure de communication, la genèse d’un ordre de bataille, le tout en créant une image globale du théâtre d’opérations en temps réel. Les flux de travail hautement automatisés du Kalaetron Integral sont alimentés par des algorithmes d’apprentissage automatique et d’IA, ce qui accélère la prise de décision tout en réduisant la charge de travail des opérateurs.
L’ensemble du programme PEGASUS est estimé à plus d’un milliard d’euros avec la livraison prévue des trois avions complétés en 2025. Cela comblera une importante lacune qui perdure depuis une quinzaine d’années. Les origines des missions ROEM au sein des forces armées allemandes remonte pourtant à 1969 lorsque la Marineflieger a équipé cinq de ses avions de patrouille maritime Dassault-Breguet Atlantic d’un tel système dans le cadre du programme Peace Peek. Le système de renseignement installé était similaire à celui utilisé sur l’avion Boeing RC-135 de l’USAF, ce qui permit à l’Allemagne de bénéficier des mêmes efforts de mise à niveau et de modernisation subséquents. Ayant atteint la fin de leur vie utile, les Peace Peek Atlantic furent retirés du service à compter de 2005, le dernier quittant les rangs en 2010.
Trouver un successeur au Peace Peek Atlantic se révéla une véritable saga pour l’Allemagne. Une première tentative a échouée lorsque le programme Euro Hawk ROEM fut abandonné en 2013 après avoir dépensé plus de 700 millions d’euros et forcé la démission du ministre allemand de la Défense de l’époque. Rappelons que le RQ-4E Euro Hawk était une version modifiée du drone américain Northrop Grumman RQ-4B Global Hawk. L’Allemagne s’est alors tourné vers le drone Northrop Grumman MQ-4C Triton configuré pour des missions ROEM grâce au système de capteurs Hensoldt ISIS-ZB dérivé de celui conçu à l’origine pour le mort-né RQ-4E Euro Hawk. L’option Triton est toutefois devenue considérablement plus coûteuse qu’initialement prévu, tandis que l’on craignait de plus en plus qu’une certification complète par l’Agence de la sécurité aérienne de l’Union européenne (AESA) soit difficile à obtenir dans les délais requis. L’expérience acquise avec les drones Global Hawk utilisés pour la nouvelle flotte de surveillance de l’OTAN a conduit le ministère allemand de la Défense à conclure qu’il était peu probable que le Triton soit en mesure de respecter les normes de sécurité requises pour voler dans l’espace aérien européen dans les délais requis et sans de lourdes restrictions. Aussi, les contraintes de bande passante et la problématique croissante du brouillage ennemi des signaux GPS ainsi que des liaisons de données ont incité Berlin à plutôt considérer l’option d’une plate-forme habitée. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si aucune force aérienne majeure n’a déployé à ce jour de drone dans le rôle stratégique de ROEM. Le clou final dans le cercueil vint lorsque l’offre de vente de drones MQ-4C Triton à l’Allemagne arriva à échéance en décembre 2019.
La Luftwaffe étant déjà utilisatrice d’avions Bombardier Global, l’Allemagne se tourna naturellement vers ce type d’appareil. Cette décision fut également confortée par le fait que d’autres pays avaient déjà choisi le Global 6000 comme plate-forme de renseignements aéroportée, que ce soit du côté européen avec le Saab Global Eye ou en Amérique. Aussi, l’entretien d’un avion d’affaires déjà éprouvé et largement utilisé s’avère plus facile et moins coûteux.
Passer du Dassault-Breguet Atlantic Peace Peek au Global 6000 du programme PEGASUS sera tout un saut technologique pour l’Allemagne ! Dans le contexte actuel d’une Russie belliqueuse qui agresse l’Ukraine et qui menace des alliés de l’OTAN, l’ajout de ces avions dans la flotte allemande s’avère essentiel et pressant. Qui sait, ces futurs Global 6000 ROEM pourront même alimenter l’Ukraine en renseignements essentiels à sa défense et contribuer à repousser les troupes russes hors de son territoire. Au rythme où va cette guerre, la paix n’est malheureusement pas en vue à court terme. Nul doute que d’autres pays de l’OTAN examinent avec intérêt le programme PEGASUS qui constitue une solution clé en main rapidement déployable et à coût raisonnable. De son côté, la France a plutôt opté pour le développement du Dassault Archange.
En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
6 Responses
Bonjour Marcel, dans le même domaine, savez vous où en est le programme Archange de l’armée de l’air française ?
Merci pour cet article intéressant. Cordialement
Je n’ai pas fouillé du côté de l’Archange. Je ne suis donc pas en mesure de vous répondre. Un futur article peut être…
En effet Marcel ton article est passionnant. Pour revenir à l’Archange un article est en train de chauffer sur lui et l’Albatros, les deux principaux programmes actuellement en cours autour de la militarisation de jets d’affaire Dassault Aviation. Il devrait être proposé pendant mes vacances, donc à la fin de ce mois.
Ca sera possible de demander à Dassault de se réveiller et de ne pas laisser tous les contrats de ce genre à Bombardier ? J’écris cela sans la moindre animosité pour les Canadiens mais bon en France aussi on sait faire des avions comme ça.
Encore faut-il qu’on lui demande.
Je trouve dommage l’abandon de la logique de plateforme volante dédiée.
l’Atlantic c’est une vitesse adaptée aux ronds au dessus de la cible et une grande soute pour pouvoir larguer bouées, mines, ou même torpilles.
Autant de choses qui ne seront pas possibles avec ces nouveaux concepts à base de détournement de jets civils