En anglais on appelle cela un «running gag» que l’on traduit souvent en français par «comique de répétition» alors qu’ici tout est sensé être très sérieux, en tous cas de la part des Bangladais. Depuis le début de décennie précédente le Bangladesh dispose d’un programme de modernisation de sa défense appelé Force Goal 2030, lequel a été suspendu puis remis en fonction à plusieurs reprises depuis 2011. Or ce jeudi 6 juin 2024 le gouvernement de Dacca l’a remis au goût du jour en le renforçant au niveau budgétaire afin de permettre des achats de haute valeur pour le compte de la Bangladesh Air Force. Et du coup depuis trois jours maintenant le nom du Dassault Aviation Rafale revient sur le devant de la scène.
C’est en fait là que le concept de «running gag» prend tout son sens dans l’affaire. D’abord rappelons que le programme Force Goal 2030 a été une première fois suspendu en juillet 2015 pour raisons budgétaires puis réactualisé deux ans plus tard et donc redevenu viable. Fin 2020, après trois années et demi qui lui ont permis de racheter deux Lockheed-Martin C-130J Super Hercules de seconde main auprès du Royaume-Uni il est de nouveau arrêté cette fois pour cause de Covid-19. À cette époque déjà la Bangladesh Air Force s’est officiellement positionnée afin d’acquérir entre dix et douze Dassault Aviation Rafale F3R. La pandémie de coronavirus va même être tellement puissante dans ce petit pays asiatique que Force Goal 2030 ne reviendra qu’en janvier 2022. Quelques semaines plus tard le gouvernement de Dacca choisi de tourner casaque et de s’intéresser à l’Eurofighter EF-2000 Typhoon. Tout le monde croit alors que c’en est fini des chances de l’avionneur clodoaldien.
Puis ce jeudi 6 juin 2024 le gouvernement bangladais a annoncé que Force Goal 2030 allait être renforcé. Il vivotait depuis un an, au travers notamment d’une commande de six drones MALE Baykar Bayraktar TB.2 auprès de la Turquie et de cinq hélicoptères légers Bell 407GXi auprès des États-Unis. Rien de bien folichon me direz vous. Et vous aurez raison. Jusque là le programme de modernisation des forces bangladaises représentait un peu moins de 10% des 3.6 milliards de dollars US du budget de la défense il va être augmenté pour l’exercice 2024-2025 à 12% et ensuite à 13.8% pour celui de 2026-2027. Un accroissement donc très sensible pour les quatre années à venir, surtout quand on sait que l’effort sera porté sur la Bangladesh Air Force et sur l’épineux dossier du remplacement des antédiluviens Chengdu F-7 Fishcan chinois et des problématiques Mikoyan MiG-29 Fulcrum ex-soviétiques. En fait sur ces derniers jets le Bangladesh subit depuis quatre ou cinq ans maintenant les défaillances structurelles de la Russie en matière de fourniture de pièces de rechange. Moscou ne sait plus que commercialiser des avions mais pas assurer leur mise en condition opérationnelle par ses clients. Enfin quand elle réussit à les vendre. Et cela lui a déjà joué des tours ! Ajoutez à cela une Chine de plus en plus expansionniste en Asie Pacifique et vous comprendrez que cette nouvelle mouture de Force Goal 2030 pourrait bien sourire à Dassault Aviation et à son remarquable chasseur. Et le consortium Eurofighter dans tout ça ? Eh bien en fait l’EF-2000 Typhoon n’a jamais été considéré au Bangladesh comme autre chose qu’un pis-aller vis-à-vis du Rafale.
Ne nous réjouissons cependant pas trop vite. Et d’une le Bangladesh n’a pas l’économie la plus fleurissante d’Asie, loin s’en faut. Et de deux le programme Force Goal 2030 l’a souvent dépassé l’obligeant ensuite à faire piteusement machine arrière comme récemment avec les hélicoptères de combat Bell AH-1Z Viper américains. Et de trois le Dassault Aviation Rafale F3-R n’existe en fait plus, ayant été remplacé par le Rafale F4 dont les délais de livraisons sont toujours aussi longs. Le choix de l’avion français à un prix au-delà de son coût : la patience. Conjuguez tout ça et vous verrez que si oui le Dassault Aviation Rafale F4 intéresse de nouveaux les décideurs bangladais il est toujours aussi peu sûr qu’ils puissent un jour l’acheter. Ça s’appelle la realpolitik. Certains me taxeront d’être pessimiste et me rétorqueront qu’il y a un précédent dans la région avec une Indonésie qu’on attendait pas et qui finalement a bien intégralement payé ses Rafale F4. Sauf qu’économiquement parlant cette dernière a les reins nettement plus solides que le Bangladesh. Il faudra donc observer dans les semaines et mois à venir l’évolution de cette augmentation annoncée de Force Goal 2030 et le programme de remplacement des chasseurs bangladais.
Affaire (donc) à suivre.
Photo © DGA.
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5 Responses
Peut-être demanderont-ils eux aussi des Rafales F3R d’occasion.
Le consortium autour du Rafale cherche des « petits clients » demandant de petits volumes.
À voir les conditions que les uns proposeront, et les moyens que les autres voudront bien se donner.
Bonjour Arnaud
L’année dernière est sorti une info concernant la vente de Rafale à ce pays
Si je ne me trompe pas l’Inde aurait manifesté une certaine réticence à ce que la France vende ce chasseur au Bangladesh ?
Cordialement
Quelles sont les relations Inde et Bangladesh ? Voir Indonésie ?
N’y aurait il pas une mutualisation possible ? Voir un échange f3r contre F4 pour l’Inde ?
Il y a quelques petits soucis d’ordre religieux entre l’Inde hindouiste et le Bangladesh et l’Indonésie musulmans. Mais rien de dramatique entre les Indiens et les Indonésiens, c’est un peu plus tendu entre les Bangladais et les Indiens mais sans forcément atteindre le paroxysme des relations indo-pakistanaises. Rien n’est insurmontable entre ces trois pas, le Bangladesh étant simplement un petit Poucet vis-à-vis des deux géants.