De passage quelques jours en Croatie et lors d’un arrêt de rigueur au parc national de Plitvice, j’ai découvert par hasard l’existence de cette base aérienne unique en son genre et à l’histoire si particulière.
Bien évidemment, les lacs et cascades de Plitvice sont des incontournables de la Croatie. Et hors saison, en dehors de la foule estivale, c’est un plaisir de découvrir ce site classé au patrimoine mondiale de l’UNESCO. Toutefois, on est dans le fin fond de la Croatie, très loin des splendides rivages adriatiques de la Dalmatie, et plutôt au milieu de la « pampa » à la frontière avec la Bosnie-Herzégovine. Alors que faire d’autre dans cette région montagneuse croate. La réponse m’a été fournie par ma conjointe qui a repéré à ma place (un comble pour un passionné d’aéronautique militaire) une activité un peu particulière dans un lieu hors du commun dans l’histoire de l’aviation : l’ex-base aérienne yougoslave de Željava, désormais abandonnée… mais « visitable ».
Un peu de contexte historique pour bien saisir l’originalité des lieux. La construction de la base aérienne de Željava, sous le nom de code « Objekat 505 », a débuté en 1957 dans un contexte de tensions croissantes entre l’Est et l’Ouest pendant la Guerre froide. La Yougoslavie, dirigée par Josip Broz Tito, craignait une attaque potentielle de l’OTAN et souhaitait renforcer ses capacités de défense aérienne. Le choix du site de Željava, niché dans les montagnes de Lička Plješivica à la frontière entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, répondait à plusieurs impératifs. Tout d’abord, une localisation stratégique déterminante à proximité des pays membres de l’OTAN comme l’Italie et l’Allemagne. Ensuite une forte protection naturelle, cette base étant entourée de montagnes et de forêts denses, la rendant difficile à localiser et suffisamment éloignée des frontières en cas d’invasion. Enfin, un terrain montagneux pour accueillir une infrastructure robuste pour des installations entièrement souterraines, sur le modèle des bases suédoises. Car en effet, le complexe « KLEK » était conçu pour résister à une attaque nucléaire d’une puissance de 20 kilotonnes. La base aérienne de Željava était donc un projet de construction titanesque avec toute les technologies de pointe de l’époque.
Achevée en 1965 et mise en service en 1968, Željava était l’une des plus impressionnantes bases aériennes (à l’époque) et représentait un symbole de la puissance militaire de la Yougoslavie. Véritable ville souterraine entièrement creusée à l’intérieur de la montagne, la base accueillait jusqu’à un millier de personnes pouvant vivre en autonomie pendant deux mois. Elle disposait de 5 pistes d’atterrissage extérieures (dont seules 2 permettaient les décollages) et pouvait accueillir 3 escadrilles d’avions de combat, dont 60 MiG-21 Bis et quelques F-84 Thunderjet. Les 3 galeries souterraines de 350 à 500m de long, de 8m de haut et de 20m de large étaient protégées par 4 portes de béton d’un mètre d’épaisseur et pesant chacune 100 tonnes chacune. Mais elle intégrait aussi au coeur de la montage la majorité des bâtiments habituellement construits en extérieur : dépôts de munitions et de carburant avec un pipeline de 20km, un hôpital, les casernements, les centres de commandement et de communication… Elle était également équipée d’un systèmes de défense sophistiqué composée de batteries anti-aériennes, d’installations de guerre électronique, d’un système de radar d’une portée de 400km, ainsi que d’une tour de contrôle camouflée dans la roche. Željava était entièrement autosuffisante en eau, air, électricité… et donc isolée du monde extérieur. L’existence de Željava était un secret d’État (et de polichinelle), et la base était entourée d’une zone d’exclusion interdite aux civils.
Ce diaporama nécessite JavaScript.
Les années 90 avec les guerres de Yougoslavie ont forcement été un tournant pour la base aérienne de Željava. Au début de la guerre de Croatie en 1991, la base servait d’abri aux avions de l’armée populaire yougoslave (forces essentiellement serbes). Après l’entrée en guerre de la Bosnie-Herzégovine, elle est devenu un point de départ important pour les attaques contre les forces croates et bosniaques, car située à proximité de la ville bosniaque de Bihać. C’est également depuis cette base que des pilotes croates de l’armée yougoslave déserteront avec leurs avions et constitueront l’embryon des forces aériennes de la Croatie. En 1992, située dans le territoire auto-proclamé de la République serbe de Krajina, la base est dans une position stratégique intenable. Assiégée par les forces ennemies, elle a résisté aux assauts un temps pour stocker des armes et des munitions. Mais, le 16 mai 1992, forcés de se retirer et plutôt que d’abandonner une base aérienne pleinement opérationnelle d’une valeur de plus de 6 milliards de dollars, les Serbes ont d’abord rendus les pistes impraticables. Puis ils ont décidés de la détruire complètement avec 56 tonnes d’explosifs et elle fut « consommée » par les incendies internes. Il a été rapporté que les habitants pouvaient encore voir des panaches de fumée sortir des tunnels six mois plus tard. Quoiqu’il en soit, comme le disait un ancien pilote : « Tout a brûlé, il ne reste que les murs et les tunnels qui ont tenus ! ». Au sommet de la montagne Plješevica, le système de radar, qui permettait une surveillance des espaces aériens autrichien, italien et hongrois, a continué de fonctionner entre 1992 et 1995. Ce dernier équipement en état de marche fut détruit par l’armée serbe de la Krajina avant d’être récupérée par l’armée croate en pleine opération « Tempête », réalisée avec le soutien d’une société militaire privée américaine.
Depuis cette époque, la base aérienne de Željava n’a jamais été remise en état de fonctionnement, car devenue trop dangereuse par la présence de mines et très largement polluée par les produits chimiques dégagés lors du sabotage de 1992. Aujourd’hui, les forces de l’ordre croates s’en servent pour des exercices de détection de mines. Elle est aussi devenue une destination populaire pour les amateurs d’urbex avec des visites réalisées par quelques guides locaux. Mieux vaut ne pas y aller seul, car il n’est pas rare d’y croiser les forces de l’ordre puisque désormais la base est à cheval sur 2 pays, dont l’un est dans l’UE et l’autre pas. D’ailleurs 3 pistes sont en Bosnie et les 2 autres en Croatie, ironie de l’histoire.
Coté avion, comme ce n’est ni un musée, ni une base en activité, c’est forcement famélique. Un pauvre Douglas DC-3 Dakota peu présentable est posé à l’entrée à coté d’un bar éphémère. Il dispose d’une « livrée » composée de milliers d’autocollants divers et variés apposés par les visiteurs du site au fil des années. Il y a également deux « ruines » de jet d’origine US, un F-84G et un RF-84G Thunderflash, aux couleurs yougoslaves de l’époque. Le statut de non-aligné de la Yougoslavie avait permis à ses forces militaires de s’équiper d’avions de construction à la fois américaine et soviétique.
Donc, si un jour vous allez au parc national des lacs de Plitvice, vous saurez qu’à 10km de là se cache sûrement l’une des bases aériennes les plus étonnantes du continent européen… enfin plutôt ce qu’il en reste.
En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
16 Responses
Ça avait l’air super sympa comme visite. On est pas très loin de l’urbex tout de même. Ton Dakota « stické » me rappelle un peu un certain Flamant rose : https://www.avionslegendaires.net/2024/03/actu/le-flamand-rose-lyonnais/
Merci Arnaud pour ce reportage, d’un genre un peu spécial, très intéressant, et pour moi totalement inconnu.
C’est vrai que Tito est toujours resté très discret sur ses installations militaires.
Bravo pour les photos d’époque sur les Mig 21.
J’y suis strictement pour rien, c’est Gaëtan notre webmaster et rédacteur en chef qui est l’auteur de ce très chouette reportage.
Magnifique découverte !
Merci pour cette tranche de l’histoire, généralement ignorée dans nos contrées.
Je n’en avais jamais entendu parler. C’est étonnant cette base souterraine et ses Mig 21. Merci monsieur Gaetan pour cette belle découverte.
J’ai également visité le magnifique parc de Plitvice il a quelques années tout en ignorant l’existence de cette base « secrète » si proche. Dommage qu’elle soit en ruines, sinon ce serait sûrement une attraction touristique davantage connue. Merci pour cette découverte !
Moi aussi j’aurais pu passer à coté sans le savoir, ma femme a été plus perspicace.
Je connais cette base et dans un autre registre in y a un base de sous marin en Albanie un peu dans le même esprit. D ailleurs une base similaire à été remise en état à grand frais par l otan c est la base de Kucova également en Albanie.
Un article dont je n ai plus l origine indiqué que ces bases sont devenus très vite obsolète tant une bombe de gros calibre larguée sur l entrée pouvaot condamner la sortie des avions et emprisonner tout le monde.
L’Iran s est d ailleurs doté de la même idée récemment pour y faire un musée de f4 et de f5 antidiluvien.
Super Gaëtan, ça faisait longtemps de pouvoir vous lire…
Oui effectivement, quand j’arrive à me trouver du temps pour le site, c’est souvent à la tour de contrôle ou l’atelier mécanique… (trop) rarement en pilotage libre.
Merci Gaëtan. Cet article était vraiment intéressant. J’avoue que je vous envie…et que je suis en train de regarder comment aller faire prochainement un tour en Croatie.
Merci pour votre curiosité et votre plume, et merci aussi à votre dulcinée.
Et pour le DC3, je trouve au contraire très sympa d’avoir accepté qu’il devienne un support pour des autocollants marquant le passage des visiteurs.
Il me semble que certaines bases aériennes suisses étaient également souterraines.
Cordialement.
Mais je vous en prie, c’était un imprévu aéronautique que je voulais partager.
L’etat du DC-3 ne me pose pas problème, il est plus l’emblème des visiteurs qui ne sont pas des passionnés d’aviation mais plus d’urbex en général.
Ravi d’avoir pu faire le tour operator 😉
Salut GAETAN, ARNAUD et les Passionnés,
Une découverte, comme je les aime bien…! Dès les premières lignes, cette base secrète yougoslave m’a rappelé celle évoquée et dessinée par BERGESE dans les aventures du célèbre BUCK DANNY et « L’Escadrille Fantôme », même si les lieux diffèrent un peu.
Assurément un vestige de l’histoire de la GUERRE FROIDE, aussi froide et sombre que l’intérieur bétonné de cette base aérienne…. »souterraine »….!
Amicalement,
Avec ce superbe avion qu’est le Mig21, j’ai l’impression de voir des images tirées de la rébellion dans Star Wars.
Merci beaucoup pour cet article, pris beaucoup de plaisir à le lire et découvrir!
C’est digne d’un James BOND ces décors de base souterraine …