Afin de remplacer ses ATL-2 Atlantique la France peut-elle céder aux sirènes de Boeing ?

C’est un des sujets les plus épineux de la défense française : l’état et l’avenir de notre patmar. Alors qu’il y a près d’un an la DGA notifiait à Airbus DS et à Dassault Aviation une double «étude d’architectures» visant à trouver un successeur aux actuels Dassault-Breguet ATL-2 Atlantique la question d’une importation du Boeing P-8A Poseidon peut parfaitement se poser. Car l’avion américain est désormais de plus en plus omniprésent chez la majorité de nos partenaires, tout en ayant déjà largement démontré ses capacités après dix ans de service opérationnel dans l’US Navy. Nos décideurs politiques joueront t-ils la carte de la facilité en ayant recours à Boeing ou poursuivront t-ils en direction d’une solution franco-française ou européenne ?

La semaine dernière le Canada faisait ce choix, privilégiant Boeing et son P-8 Poseidon à une solution locale défendue par Bombardier. Le premier ministre, pourtant francophone, Justin Trudeau appuyait sa décision sur l’argument de l’accord Five Eyes. Les Canadiens rejoignaient donc leurs partenaires américains, australiens, britanniques, et néo-zélandais dans le club des utilisateurs du biréacteur de patrouille maritime dérivé de l’avion de ligne Boeing 737. Chaque état étant souverain dans ses volontés d’équipements militaires ce choix canadien se respecte tout à fait.

En fait le Boeing P-8A Poseidon s’inscrit désormais dans un plus vaste plan hégémonique de l’avionneur. Faute d’une concurrence claire et nette autant y aller à fond et s’imposer comme la plateforme pilotée N°1 en matière de patrouille maritime. Allemands, Britanniques (donc), et Norvégiens sont les premiers clients européens de l’appareil. Les premiers, pas les derniers, puisque Boeing n’a jamais caché son ambition de placer son biréacteur auprès d’autres pays. On parle notamment de la Finlande, de la Grèce, ou encore des Pays-Bas. Quid de la France là-dedans ?

Bien sûr le Dassault-Breguet ATL-2 Atlantique vieillit. Mais il demeure une référence absolue dans les forces de l’OTAN par sa capacité à la fois à traquer le sous-marin russe en Atlantique nord autant qu’à aller bombarder des troupes djihadistes en Afrique ou au Moyen-Orient. Il est tellement polyvalent qu’il en devient difficile à remplacer, même peut-être pour Boeing et son P-8A Poseidon. Surtout Boeing sait que depuis des décennies maintenant la France est le pré carré des industriels nationaux et européens. Les rares contrats signés depuis par des avionneurs américains avec Paris l’ont été sur des machines ultra spécialisées : Cirrus SR.20/SR.22 d’entraînement initial et de sélection en vol, General Atomics MQ-9 Reaper de reconnaissance et d’appui tactique, ou encore Lockheed-Martin KC-130J Super Hercules de ravitaillement en vol. Il faudrait que le Boeing P-8A Poseidon soit vraiment un avion très spécialisé pour prétendre s’imposer auprès du ministère des Armées, et plus précisément de la Marine Nationale. Ça tombe bien pour le constructeur américain : il l’est !

Malheureusement pour lui il y a cette fameuse notification de la Direction Générale de l’Armement en date du 22 décembre 2022. Ce jour là, il y a presqu’un an, la DGA partageait entre Airbus DS et Dassault Aviation une enveloppe de 10.9 millions d’euros. Chacun des deux avionneurs étudie depuis la faisabilité d’une version de patrouille maritime dérivée de respectivement l’avion de ligne A320Neo et le jet d’affaire de nouvelle génération Falcon 10X. Deux salles deux ambiances en sommes. Le premier est clairement un avion de la même catégorie que le Boeing P-8A Poseidon alors que le second sera bien plus compact. En fait en matière de dimensions le Falcon 10X présente peu de différences avec l’ATL-2 Atlantique : 33.60 mètres d’envergure contre 37.40 mètres et 33.40 mètres de long contre 31.60 mètres. Falcon 10X et Atlantique sont donc deux avions relativement similaires… en terme de taille.

En France fort heureusement les décideurs politiques sont globalement tous d’accord pour privilégier une solution via Airbus DS et Dassault Aviation. Mais jusqu’à quand ? Est-ce que si le programme de développement de l’A320Neo ou du Falcon 10X de patmar traîne en longueur ils le seront toujours ? Et si la France venait à changer de couleur politique dans les années à venir cela ne pourrait t-il pas nuire à l’un ou à l’autre des avions et favoriser la solution de facilité : l’avion qui existe déjà et vole depuis 2013 en unités.

Oui le risque que la France bascule vers Boeing et son P-8A Poseidon existe. C’est clairement un risque car cela se ferait forcément aux détriments de nos intérêts, que ce soit ceux strictement français de Dassault Aviation ou plus largement européens grâce à Airbus DS. Le futur chantier de remplacement des Dassault-Breguet ATL-2 Atlantique sera donc sans doute tout autant technologique que politique. Avec un constructeur américain en embuscades, prêt à bondir en cas de défaillance d’un ou des deux constructeurs engagés dans la compétition.

Affaire donc à suivre.

Photo © Marine Nationale


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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

15 Responses

  1. Curieusement, je ne pense pas que la France adopte un appareil Boeing pour la surveillance maritime. D’abord parce que même si les entreprises de sous-traitants aiment Boeing, les politiques perdraient de gros points en achetant sur étagère un avion alors qu’une solution nationale et exportable peut être réalisée.
    Bien sûr, il y la facture. Mais aussi et surtout la poche dans laquelle ira l’argent.
    La France n’a aucun retour à attendre de Boeing, mais retombera sur ses pattes à l’issue d’un programme national où impôt de tous types sur les pièces et la main d’oeuvre lui reviendront sur toute la durée de vie des avions.

  2. Les pays acheteurs du P8 ont également des F35 à l’exception notable de l’Inde . Il me semble qu’un point important sur ce dossier – au delà des capacités opérationnelles de la plateforme proprement dite- est la mise en réseau de l’avion patmar avec les autres vecteurs du système pour avoir à la fois une situation tactique globale et définir le choix de l’effecteur le plus approprié pour contrer la menace . Et se pose alors la question de la connectivité entre un Rafale et un P8 s’il était acheté par la France et à plus long terme entre l’avion du SCAF et le P8. Dans cet esprit le fait que Dassault soit leader du groupe de travail européen « interopérabilité  » traduit bien l’importance de cet aspect du dossier. Airbus D&S en est également parfaitement conscient étant leader de ce pilier dans le SCAF. La lutte entre industriels s’annonce sévère.

  3. Bonjour Arnaud et passionnés.
    Félicitations pour votre analyse toujours intelligente et provocatrice.
    Je reprends la polémique sur le remplacement des CP-140 Aurora canadiens car elle est étroitement liée à cet article.
    La nécessité de les remplacer était connue depuis un certain temps. Comme on le sait depuis de nombreuses années, la nécessité de remplacer les Atlantiques françaises et italiennes, les P-3 Orions allemands et la nécessité de reconstituer une capacité de patrouille maritime anti-sous-marine adéquate en Europe.
    Pourtant, ces dernières années (au moins dix), on n’a fait que parler. Les Canadiens avaient la possibilité de développer un patrouilleur à partir de leur Bombardier 6500 (SAAB et Bombardier ont lancé le développement de leur patrouilleur maritime en 2016…..).
    Combien d’années le patrouilleur franco-allemand en panne a-t-il traîné sans résultat avant de sombrer lamentablement ?
    Les industries européennes avaient les moyens et les compétences nécessaires pour développer, peut-être avec le Canada et d’autres entités, un patrouilleur maritime adéquat qui aurait eu un marché intérieur d’au moins 70 exemplaires. Mais les décideurs n’ont pas pris de décisions et l’armée de l’air n’a pas fait entendre sa voix.
    Face à la nécessité évidente d’un nouveau patrouilleur maritime, les décideurs européens ont « addormentati sulla patata », comme on dit en italien.
    Un choix s’imposait évidemment à la suite d’une analyse coût-bénéfice honnête (A-400 M docet….).
    S’il s’avérait problématique de développer un patrouilleur maritime européen, il fallait un plan B.
    Autrement dit, tous les États européens se sont présentés ensemble devant Boeing, proposant un seul achat de 70 avions ou plus.
    Dans ce cas, les conditions auraient été très différentes de celles qu’un seul État peut obtenir. Beaucoup plus avantageux.
    Arnaud Vous êtes un pro-européen convaincu et je vous respecte.
    Mais dites-moi, quel numéro de téléphone possède l’Europe ?
    Traduit par google

  4. Analyse très juste du problème français. Chez nous on privilégie le « made in France » ou le « made in UE » même quand ça se fait au détriment de la qualité. On le voit avec l’Eurodrone que l’on s’entête à développer alors que les Américains nous proposent un Sky Guardian / Sea Guardian déjà acheté par les Britanniques et bientôt par les Portugais. Mais non en France on se croit plus malins que les autres. C’est la même chose avec l’après Atlantique 2.

    1. Il ne faut pas oublier que l’un des points du pourquoi l’Eurodrone est l’indépendance de l’emploi du système
      Actuellement, les militaires français doivent rendre compte aux USA des opérations menées avec les Reaper FR ou que ces derniers soient au courant de leur emploi

    2. Il ne faut veiller à ne pas hypothéquer l’avenir. Si vous achetez US, vous enlever le besoin d’ingénieurs, sous-traitants, techniciens pour 1 génération. Ils iront faire autre chose et le jour où vous voulez vous repencher sur le remplaçant, et bien le choix sera US ou US. On ne fait pas repousser des compétences comme ça.
      Mieux vaut quelque chose d’un peu moins bien mais qui fait le boulot maintenant et poursuivre l’aventure que de calculer sur 1 coup et laisser la génération d’après se débrouiller sur les décombres.
      La logique comptable a vraiment des limites ….. (on voit ce qu’elle a donné sur l’industrie, les technos semiconducteurs ….).
      Nous avons un point fort avec l’aéro en France et en Europe, il serait dommage de le sacrifier comme on l’a fait avec les filière auto qui vit ses dernières heures.

  5. Il y a quelques mois vous vouliez que votre ami Macron achète des F35 Lightning 2 et maintenant des P8 Poséidon. Je crois Arnaud que vous n’êtes pas un journaliste très sérieux mais un sérieux traitre à votre nation. J’exige que vous retiriez immédiatement ce torchon que vous osez appelez un article. C’est honteux.

    Au cas ou certains ici auraient la mémoire courte voyez la prose que cet énergumène peut oser proposer à nos yeux et à ceux de notre jeunesse. Vous déshonnorez la France, le pays de Jeanne d’Arc et de Charles Martel.
    https://www.avionslegendaires.net/2023/09/actu/et-si-la-france-a-son-tour-commandait-le-lockheed-martin-f-35-lightning-ii/

    1. Ah mon pauvre Pierre Marie si seulement vous saviez lire aussi bien que vous savez polémiquer. Mais non c’est raté, vous lisez comme vous pensez : de travers.

  6. Un programme européen !! Il est bien en panne notre programme européen. Il y a qu’à voir comment les Allemands se sont défilés pour le futur avion de la Patmar. Ils ont achetés americain, des P 8 Poseidon, des F 35 et certainement, un jour, des avions de surveillance électronique type Weggetails…. Je ne donne pas cher du Scaf avec eux, comme du futur char de combat pour l’armée de terre..
    Donc, faisons nos affaires tout seul. Nous en sommes tout à fait capable et nous réussissons très bien en général, même à l’exportation. Mirages 3, Mirages F1, Mirages 2000, et maintenant Rafales. Frégates de la Marine, les Fremm, les FDI, les sous marins Scorpenes. Donc, pas besoin des autres.

    1. Juste pour la forme les FREMM ce n’est pas français mais franco-italien, c’est donc un programme européen.

  7. Après l’affaire du contrat des avions ravitailleurs US, celle des sous marins australien, ils seraient scandaleux que les décideurs Français n’obtent pas pour une Solution Airbus ou Dassaut ! D’autant que les produits en question ne souffrent aucune comparaison avec ceux US à contrario des deux scandales Ravitailleurs et Sous marins US

    1. Mouais je ne vois pas en quoi l’achat par la France des deux Lockheed-Martin KC-130J Super Hercules a eu quoi que ce soit de scandaleux. Mais bons vous semblez avoir vos raisons pour penser cela.

  8. Un P8F est tout à fait imaginable. Il y a bien des C135FR, des E3F, des E2F, … Finalement ce serait une possibililté en proposant, par exemple, une cellule P8 francisé avec radar ocean master, systeme STAN, MAD, satcom syracuse V, torpille mu90, … Reste qu’en 2035, date du début de remplacement des ATL2, 22 ans après l’arrivée en unité des premiers P8, l’évolution technologique, l’arrivée des drones, couplé à un nouvel appareil dérivé d’un falcon 10X serait une proposition dans l’air du temps et novatrice .

  9. Le Japon a proposé de fournir le Kawasaki P 1 à la France. Cette option a-t-elle été considérée?

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