Les années 2030 seront-elles (enfin) celles des avions à fuselages intégrés ?

C’est un concept quasiment aussi vieux que le transport aérien lui-même puisqu’il remonte à la fin des années 1920 au travers alors des Dyle et Bacalan DB-70 français et Junkers G38 allemands. Appelés BWB par nos amis anglophones, pour Blended Wing Body, les avions à fuselages intégrés ont peu à peu mué depuis les années 1990 en hybrides entre ailes volantes et avion de ligne classique. Et c’est d’ailleurs le chemin pris actuellement par l’US Department of Defense qui étudie cette possibilité afin de trouver un futur successeur commun aux Boeing C-17A Globemaster III et aux McDonnell-Douglas KC-10A Extender. C’est le bureau d’étude californien JetZero qui pilote cette étude de faisabilité pour le compte de l’industriel Northrop-Grumman sous la désignation temporaire de Z-5.

D’abord il convient d’expliquer ce qu’est un avion à fuselages intégrés. Il s’agit en fait d’un appareil de transport, commercial ou militaire, disposant d’un fuselage conventionnel redessiné de manière à intégrer les fonctionnalités d’une aile volante. Quelques tentatives eurent lieu aux États-Unis entre les années 1950 et 1970 afin de donner naissance à de tels avions. L’histoire a notamment retenu les Burnelli CB.8, Occidental Aircraft Corporation Model 100, et McDonnell-Douglas Spanloader malgré le fait qu’aucun ne dépassa le stade la planche à dessins. C’est en fait les années 1990 qui permirent d’accélérer les choses, toujours aux USA. Il faut dire qu’ailleurs dans le monde, et notamment en Europe et en ex URSS personne ne prenait vraiment les BWB très au sérieux.

Ainsi en 1993 Boeing cherche à diversifier son offre pour l’horizon 2005-2010 au travers d’un très gros porteur alliant un fuselage de McDonnell-Douglas MD-11 avec une voilure agrandie de 747-400 tout en conservant la configuration triréacteur et en adoptant des plans canards. Désigné Model 2020A cet avion est alors totalement délirant mais permet d’entrevoir un futur du transport aérien commercial assez novateur. À la même époque d’ailleurs l’avionneur travaille également sur le 747XL combinant un fuselage de 747-300 avec une aile volante et un empennage triple dérive. Évidemment ni le Model 2020A ni le 747XL ne dépasseront le stade de la planche à dessins. Cependant les bureaux d’études du constructeur n’ont pas dit leur dernier mot.

En 1997 la NASA tente de relancer l’idée des avions à fuselages intégrés. Le programme Blended Wing Body est lancé sous la forme d’abord de vues d’artistes puis d’une maquette de soufflerie d’une envergure de 5.20 mètres. Elle est testée et confirme la faisabilité du système tandis que des réserves sont émises autour de la motorisation retenue par les ingénieurs de Boeing, dont beaucoup provenaient de chez McDonnell-Douglas et avaient œuvré sur le Model 2020A. Malgré leur dessin très moderne les trois réacteurs ne semblaient pas suffisants. Le programme BWB fut finalement abandonné début 2002 en raison des troubles dans l’aviation civile commerciales consécutifs aux attentats du 11 septembre 2001. Les investisseurs voulaient revenir à la confiance, donc pas à l’innovation. On put alors croire les avions à fuselages intégrés bons pour les oubliettes.

C’était en fait mal connaître les Américains. Le programme BWB fut poursuivi mais de manière beaucoup plus discrète, pour ne pas dire secrète. Boeing fut crédité d’une enveloppe lui permettant de développer le drone X-48. Il s’agissait d’une maquette volante télépilotée sensée représenter l’avenir des avions à fuselages intégrés. Ayant volé en juillet 2007 cet engin a permis de grandes avancées aérodynamiques mais également de gommer quelques erreurs commises jusque là. Seize ans plus tard le Boeing X-48 semble enfin avoir trouvé sa raison d’être.

Ce mercredi 16 août 2023 l’US Department of Defense a accordé sur quatre ans au bureau d’étude JetZero une enveloppe de 235 millions de dollars US afin d’élaborer un futur avion de transport stratégique et de ravitaillement en vol utilisant la technologie dite BWB. Et celui-ci n’a rien d’un nouveau venu en la matière puisque justement il est spécialisé dans le développement de technologies visant à réduire l’empreinte carbone du transport aérien principalement au travers des avions à fuselage intégré. JetZero n’est par ailleurs pas un industriel si récent que cela puisqu’il existe depuis plus de 60 ans et a notamment travaillé sur le programme de 1997.

Vue d’artiste de l’avion à fuselage intégré étudié par JetZero pour l’US Air Force et actuellement connu comme Z-5.

En fait ce que le Pentagone veut absolument évité avec ce nouveau programme c’est qu’on l’accuse de greenwashing. C’est pourquoi il a choisi JetZero. Le maître d’œuvre industriel est de son côté Northrop-Grumman, grand spécialiste depuis plus de 80 ans des ailes volantes. L’expérience acquise dans les années 1960 avec les aéronefs à corps portants Northrop M2-F2/M2-F3 et HL-10 devrait également permettre quelques avancées notables.

Malheureusement les militaires américains savent pertinemment qu’ils ne pourront éviter un procès d’intention en verdissement d’image mais ils veulent maîtriser ce risque au maximum. Surtout leur démarche semble finalement assez saine. Factuellement il faut savoir qu’entre 2018 et 2021 inclus les avions de transport stratégique et les ravitailleurs en vol ont représenté près de 60% des consommations de carburéacteurs dans l’US Air Force et près de 70% des émissions de gaz à effet de serre. La chasse et le bombardement ainsi que l’entraînement sont donc négligeables sur la question. Selon la plus part des experts de l’US Department of Defense un avion à fuselage intégré pourrait permettre de réduire de 30 à 35% la consommation en carburéacteur vis-à-vis d’un C-17A Globemaster III ou d’un KC-10A Extender. Il y a donc là bien une volonté écologique ou sans doute plutôt écoresponsable tout autant qu’une approche purement financière de la chose.

Avant de parler prototype l’US Department of Defense attend le premier vol d’un démonstrateur technologique d’ici 2027, sans doute sous la forme d’un avion de transport. Un prototype donc qui préfigurerait ce que pourrait être un tel avion ravitailleur aux alentours de 2035-2040. Quoiqu’il en soit ce nouveau programme d’avion à fuselage intégré est particulièrement excitant.

Affaire forcément à suivre.

Illustration © US Air Force


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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

7 Responses

  1. Le militaire permet de tester beaucoup plus facilement des configurations originales puisque sans pression de la part des autorité aéroportuaires.
    Les concepts originaux d’ailes volantes que l’on nous sert régulièrement dans la presse provenant d’Airbus et Boeing ne resteront que des concepts à moins que cela n’affecte en rien les opérations aéroportuaires.
    Il faut se souvenir que la carrière du A380 aura été freinée par le fait qu’il nécessite des terminaux spécialement adaptés.
    Alors concernant des Liners en configuration Aile Volante: si des terminaux spécifiques sont nécessaires à leur utilisation, les concepts resteront des concepts à moins d’un gain fantastique de rendement aéro, mais qui pourrait alors se justifier sur des Long ranges.
    Autre point important, la résistance de ces fuselages à la pressurisation cabine: entre un fuselage ovoïde et un fuselage circulaire la prise de masse est de l’ordre de 10%, alors un fuselage patatoïde… Par exemple MITAC avaient modifié le fuselage du MRJ90 en cours de développement pour repasser vers un simple fuselage circulaire compte tenu de la prise de masse et de coût qu’impliquait le fuselage ovoïde prévu à l’origine.
    En bref, c’est original, c’est sympa, c’est plutôt élégant mais les avions civils en aile volante ce n’est pas pour demain.

  2. J’ai relevé ces deux arguments dans l’article que j’ai trouvé très intéressant :
    1  » de grandes avancées aérodynamiques mais également de gommer quelques erreurs commises jusque là. Seize ans plus tard le Boeing X-48 semble enfin avoir trouvé sa raison d’être  »
    2  » permettre de réduire de 30 à 35% la consommation en carburéacteur vis-à-vis d’un C-17A Globemaster III ou d’un KC-10A ”
    Dans le domaine militaire les américains ont la réputation d’être particulièrement réalistes et pragmatiques, ayant déjà la maîtrise de la technologie des ailes volantes ils n’ hésiterons pas aller plus loin. Par contre si je vois bien un fuselage intégré pour un ravitailleur je me pose des questions pour un transporteur de matériels militaires à cause des dimensions spécifiques à respecter pour cette logistique particulière,

  3. Bonjour Rowhider l’ A380 a un fuselage ovoïde … particulièrement résistant lorsque le grand axe de l’ovoïde est vertical, il pourrait parfaitement s’adapter sur un aéronef à fuselage intégré. Qu’en pensez-vous ?

  4. En fait, c’est surtout la résistance à la fatigue qui est problématique. Lors des cycles pressurisation-dépressurisation, le métal est mis en contrainte et moins la forme est régulière, plus les contraintes se concentrent en certains endroits, engendrant une fatigue rapide du matériau.

  5. je me rappelle d’un article de science et vie consacre au salon du bourget en 1993 ou 1995, ils parlaient du projet d’avions civils , aile volante ou passager dans les ailes…
    meme qu’a l’epoque Mc Donnel Douglas existait toujours !!!
    serait ce un effet d’annonce ou un réel projet, l’avenir nous le dira

  6. Certes, le fuselage offre une meilleur résistance en flexion mais pas au delta pression. Je pense que la contrainte appliquée à la structure de l’appareil serait lourde de conséquences dans le cas d’un fuselage pressurisé compte tenu de la forme très allongé de l’ovoide.
    Du coup la question est plus celle-ci : le gain en terme de rendement aérodynamique serait supérieur au malus lié à la prise de masse ?! Honnêtement je n’ai pas la réponse

  7. Je suis d’accord Rowhider la complexité des modélisations de ces cellules nous obligent à attendre les résultats de ces études et de rester prudents dans nos prédictions

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