L’instrumentalisation des sciences, et notamment des sciences humaines, est quelque chose de très habituel de la part des régimes autocratiques et dictatoriaux. La Russie de Vladimir Poutine n’y fait pas exception et dans le domaine qui nous intéresse ici, à savoir l’histoire de l’aviation, c’est extrêmement prégnant. Depuis quelques années maintenant les historiens russes n’ont plus le droit d’aborder le cas de la loi de prêt-bail qui avait permis aux forces soviétiques de recevoir des équipements américains et britanniques durant la Seconde Guerre mondiale. La Russie contemporaine reprend d’ailleurs la rhétorique soviétique des années 1950-1960 pour la qualifier de «Grande Guerre patriotique».
En fait la volonté poutinienne de réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale n’a rien de nouvelle. Depuis plusieurs années Moscou tente, via des canaux de communication et de propagande accessibles depuis les réseaux sociaux, de faire croire aux masses que seule l’armée russe a vaincu l’armée allemande en 1945 et libéré ainsi l’Europe.
C’est faux, et à double titre même.
En premier lieu parce qu’en 1945 l’armée russe n’existait tout simplement pas, c’est l’armée soviétique, l’Armée Rouge. L’armée russe a disparu en 1919-1920 durant la guerre civile consécutive à la révolution d’octobre 1917. Elle n’est réapparue qu’en 1990-1991 après l’effondrement de l’URSS et l’accession à l’indépendance de plusieurs pays libérés du joug moscovite. En second lieu c’est gommer délibérément l’action militaire des forces anglo-américaines et de leurs alliés australiens, canadiens, et néo-zélandais venus en masse combattre les idéologies fascistes et nazis sur le Vieux Continent. Aux dernières nouvelles ce ne sont pas les troupes soviétiques qui ont débarquées en Normandie et en Province en juin et août 1944. Ce ne sont pas elles qui ont libérés Amsterdam, Bruxelles, ou encore Paris. Ce sont bien les forces alliées placées sous commandement anglo-américain.
En 2018 un collectif d’universitaires russes tirait le signal d’alarme en indiquant que désormais il leur était interdit d’aborder l’aide anglo-américaine fournie à l’Union Soviétique au titre du prêt-bail. C’était déjà une première étape vers une totale réécriture de l’Histoire à la sauce Poutine. Selon l’autocrate russe la guerre s’est déroulée comme il la fantasme : la Russie seule contre l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Ça peut nous paraître complètement débile et même totalement hallucinant sauf que c’est désormais une réalité bien palpable
Au niveau de l’histoire aéronautique cette volonté marque la disparition dans les publications bibliographiques et internet officielles russes d’aéronefs comme les chasseurs Bell P-39 Airacobra et Curtiss P-40 Warhawk, les bombardiers Douglas A-20 Havoc et North American B-25 Mitchell, ou encore l’hydravion patrouilleur Consolidated PBY Catalina pourtant fournis par centaines voire milliers d’exemplaires à l’aviation et l’aéronavale soviétiques. Autant dire que pour les aérophiles russes c’est une grosse part de leur histoire de la période 39/45 qui est partie en fumée. On peut raisonnablement se dire qu’elle ne reviendra jamais.
Il existe heureusement quelques lueurs d’espoir en Russie. D’abord parce que tous les historiens et universitaires ne suivent pas les délires propagandistes de Vladimir Poutine. Quelques-uns croient encore en la vérité historique, celle des preuves, des faits. Ensuite il faut souligner la résistance du toujours excellent www.airwar.ru, site aéronautique russophone de référence qui continue à exposer les faits en relation avec les avions et hydravions fournis par les Américains et Britanniques aux Soviétiques. Jusqu’à quand le pourront-ils ? Nul ne le sait.
Bien sûr vouloir réécrire l’histoire aéronautique semble bien anecdotique. Sauf qu’il s’agit là d’une forme de mensonge à grande échelle, de celle qui permet d’orienter la pensée des uns et des autres. Et ça, c’est grave.
Photos © San Diego Air & Space Museum.
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6 Responses
Cette action de révision de l’histoire ne s’arrête pas à la Russie. Depuis plusieurs années déjà, les relais de l’extrême droite dans l’opinion publique et notoirement sur internet relaient ces « faits alternatifs ». Et la sauce prend bien. Comme souvent lors des moments tragiques de l’histoire l’Histoire est manipulée par celles et ceux qui ont besoin du mensonge pour être crédible. Nous nous devons d’être vigilants et de continuer chaque jour à participer au devoir de mémoire, non seulement sur les crimes du régime nazi, faschiste et Impérial mais aussi sur les faits qui ont permis la défaite de l’axe.
Effectivement les anglo-saxons ont aidés les soviétiques à en finir avec le nazisme et le fascisme. Mais pourquoi dans tous vos documentaires, vous ne mentionnez jamais le rôle des tirayeurs africains dans la libération de l’Europe…?? Ou est-ce parce que comme M. Sarkozy, vous soutenez que le noir n’est pas entré dans l’histoire…?? Ou est-ce du racisme…?? Ou alors vous les blancs vous croyez supérieurs à nous les noirs africains…??
Les tirailleurs africains ont participé aux missions au sein des forces françaises libres et notamment de la 2e division blindée de Leclerc. Mais vous aurez sans doute remarqué être sur un site aéronautique. Or les tirailleurs africains n’étaient pas des aviateurs.
Ensuite vos propos sur le racisme sont grotesques.
Le dernier numéro de Guerres et Histoire a pour principal sujet les troupes coloniales ayant participées aux deux conflit mondiale . Lisez-le , cela vous élèvera . Et pour les autres lecteur du site , il y a aussi un sujet sur l’ avion Jaguar .
Le révisionnisme historique n’est pas un phénomène nouveau, mais il atteint le sommet du ridicule sous Poutine. Une insulte à tous ceux qui ont perdu la vie lors de missions de livraison d’avions durant la guerre via la route aérienne du Nord-Ouest de l’Amérique : https://www.avionslegendaires.net/dossier/recits/route-aerienne-nord-ouest-lamerique-secours-de-lurss/
Il appartient aux historiens professionnels, et amateurs comme nous, d’honorer la mémoire de ces héros.
Complètement d’accord avec vous, Marcel, ce « pret-bail » s’est manifesté sur tout les fronts, y compris celui de la mer avec ses nombreux convois pour livrer matériel aux soviets, exemple du très aventureux convoi « PQ 17 ».