Les débats sur la question de la place des forces de défense dans la société irlandaise ont été relancés de manière significative suite à l’agression de l’Ukraine par la Russie. L’Óglaigh na hÉireann, le ministère irlandais de la défense, entend désormais augmenter significativement son budget avec l’accord des parlementaires de Dublin. Dans le même temps le pays pourrait revoir sa politique historique de neutralité en s’engageant plus fortement aux côtés des Européens et en étudiant une possible adhésion à l’OTAN. Le volet naval de la défense irlandaise pourrait lui aussi tirer son épingle du jeu.
Les houleux débats autour de la renaissance d’une aviation de chasse en Irlande sont t-ils de retour ? Oui sans aucun doute. Les députés du Dáil Éireann et leurs collègues sénateurs du Seanad Éireann semblent désormais à l’unisson sur la question du renforcement des moyens de défense, ayant voté dans l’urgence une première enveloppe de deux millions et demi d’euros. Elle n’est pas suffisante pour envisager l’acquisition de chasseurs mais permet déjà de mobiliser plus de forces pour la sécurité du pays.
En fait des différences existent encore entre les points de vue des uns et des autres. Plus qu’un traditionnel clivage entre conservateurs et travaillistes, c’est à dire entre droite et gauche, c’est plus une différence d’appréciation entre députés et sénateurs.
Les premiers sont désormais dans leur très grand majorité favorables à l’acquisition sous deux à trois ans d’un lot de douze à dix-huit chasseurs de nouvelle génération de conception et de construction uniquement européenne. Les seconds semblent plus mesurés et ne l’envisagent pas avant la fin de la décennie, préférant entre temps reconduire l’accord de soutien et de défense en activité avec le Royaume-Uni depuis 1978.
Un consensus se dessine donc sur deux points importants : l’acquisition future d’avions de combat dignes de ce nom et le fait que ceux-ci seront issus d’un ou plusieurs pays européen.
La crise ukrainienne a soulevé un autre point essentiel sur l’avenir de l’Irish Air Corps : la projection aéroportée de forces. Dans l’optique d’un Óglaigh na hÉireann plus volontariste vis-à-vis de ses partenaires européens les moyens actuels de déploiements de force sont ridicules : un unique biréacteur d’affaire Bombardier Learjet 45 équipé à l’année pour les évacuations sanitaires et employé un quart du temps pour du transport gouvernemental. Les quatre Pilatus PC-12NG de reconnaissance et de surveillance peuvent en cas de besoin assurer des missions logistiques légères.
Lors de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan en août dernier l’Irlande avait été obligé de quémander à la France un Airbus DS A400M Atlas de l’Armée de l’Air et de l’Espace afin d’embarquer ses forces spéciales et de rapatrier de Kaboul ses ressortissants. Les liens très étroits entre Dublin et Paris avaient joué en faveur de cette initiatives.
Aussi l’Irlande entend désormais disposer dans un avenir proche de deux à trois avions tactiques permettant de rejoindre n’importe quel pays européen voire la côte est des États-Unis. Là par contre les parlementaires irlandais ne sont pas fermés à une option américaine et envisagent cette acquisition sous quelques mois. M’est d’avis qu’Airbus DS et Lockheed-Martin doivent déjà affûter leurs arguments.
Au cours des semaines quatre et cinq de cette année 2022, donc entre fin janvier et début février, les côtes irlandaises ont été frôlées de près par plusieurs navires de guerre russes menant un exercice de déploiement en Atlantique nord depuis la Baltique et la mer de Barents. Suivis de près par des avisos et frégates britanniques et français ils l’ont aussi été par le patrouilleur irlandais Samuel Beckett et un avion de surveillance maritime Casa CN-235MP de l’Irish Air Corps. À cette occasion l’opinion publique irlandaise a pu constater les faibles moyens de l’Irish Navy incapable d’accompagner la Marine Nationale et la Royal Navy en Atlantique nord. Même son avion a du rebrousser chemin rapidement, laissant les Européens seuls. Ou presque.
Cet épisode bien relayé par les médias irlandais a lui aussi relancer un vieux débat dans le pays : l’achat ou le refus d’achat d’un petit groupe de navires hauturiers, idéalement des frégates. L’Irish Navy repose aujourd’hui sur sept patrouilleurs.
Cette série de manœuvres navales russes ainsi que les opérations de bombardements organisées par Moscou en Ukraine ont également ramené sur le devant de la scène un débat encore plus vieux en Irlande : la neutralité. Plutôt bienveillante envers les Britanniques et Européens depuis les années 1950-1960 elle est aujourd’hui considérée comme un fardeau par les militaires irlandais. D’autant que l’Irlande participe à des missions internationales sous commandement onusien. Elle est par exemple actuellement déployée au Mali dans le cadre de la MINUSMA.
Et ce débat sur la fin de la neutralité s’articule sur un plus complexe qui concerne également une éventuelle adhésion du pays à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
Vous l’aurez donc compris parmi tous les pays ayant pris conscience des fragilités de leur système défensif après les récents bouleversements dus à la folie du dictateur russe l’Irlande fait figure de leader. Elle a compris l’intérêt de mieux se préparer au pire. Espérons pour elle que cela ne restera pas lettre morte. Dans une Irlande encore très majoritairement pacifiste rien n’est moins sûr.
Photos © Irish Air Corps.
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9 Responses
Bonjour Arnaud, j’ai une question concernant l’achat d’avions de chasse par l’Irlande.
D’après vous , combien d’années seraient nécessaire à l’Irlande pour rebâtir une force opérationnelle ?
Car outre l’achat des avions, il faut les infrastructures, la formation des pilotes et mécanos, la logistique, etc….
Et hop! des F35!
Merci de nous apprendre que le F-35 Lightning II est un avion européen.
De l’art de lire les articles avant de les commenter.
Merci mr. Poutine . Grâce a vous , l’ Europe a enfin compris qu’ elle devait être aussi forte militairement qu’ économiquement. Encore une fois, MERCI.
Question comme ça: Que deviennent les Mirage 2000-9 des EAU, remplacés par des Rafales F4? Il y en avait une soixantaine il me semble? Des pays comme l’Irlande et la NZ, sans armée de l’air digne de ce nom, qui doivent changer radicalement de paradigme de défense, face la Russie et la Chine (apparemment alliés dans la menace), en s’équipant rapidement de chasseurs performants mais pas trop chers? Ca pourrait « coller » et rapporter à la France (entretiens, formations, etc), tout ayant de nouveaux alliés en Atlantique et dans l’indo-pacifique…?
Aux dernières nouvelles ces Mirage 2000-9 appartiennent aux EAU ils en font ce qu’ils veulent.
Certes, mais en ont-ils encore besoin? Un avion d’occasion, ça se rachète.
Autre question: Airbus n’a jamais réfléchis à produire ou transformer de l’A 320/321 MRTT Néo (un peu à la sauce A 310 MRTT)? En faisant du P2F amélioré à la sauce MRTT, ça pourrait intéresser pas mal de pays en souffrance de cargos/ravitailleurs stratégiques. Il y a un marché d’occasions pléthoriques pour ça?
Je pense que l’Irlande achètera de Typhoon Eurofighter