Les aficionados de l’aviation militaire connaissent bien le terme Broken Arrow. Pour le bénéfice des autres, ce nom de code américain est utilisé en cas de perte accidentelle d’une arme nucléaire. Plusieurs cinéphiles se souviendront sans doute du film d’action Broken Arrow paru en 1996. Le Major Vic ‘Deak’ Deakins (John Travolta) et le capitaine Riley Hale (Christian Slater) y jouent le rôle des pilotes de l’USAF impliqués dans la perte d’armes nucléaires et l’écrasement de leur bombardier Northrop B-2A Spirit.
On pourrait croire que les situations Broken Arrow n’arrivent qu’au cinéma. Toutefois, la réalité dépasse la fiction. À ce jour, le gouvernement américain a reconnu plus d’une trentaine d’incidents Broken Arrow. C’est sans compter sur l’opacité d’autres pays également dotés de l’arme nucléaire. Le plus grand secret entoure généralement ces événements dont les véritables faits ne deviennent publics que des décennies plus tard. Il y a maintenant 70 ans, le Canada a eu “l’honneur” d’être non seulement le théâtre du premier cas Broken Arrow au monde, mais d’en subir un second la même année.
Le 13 février 1950, par un froid de -40°C, un bombardier Convair B-36B Peacemaker décolle d’une base aérienne près de Fairbanks en Alaska. Son équipage de 17 hommes doit s’entraîner à une mission hivernale de bombardement. Aussi, cet exercice implique d’armer et désarmer en vol une bombe atomique Mk4, une version évoluée de la célèbre Fat Man ayant détruit Nagasaki. La cible fictive est San Francisco qu’ils devront survoler avant de retourner vers leur base d’attache au Texas. Vers 23:00, alors que le B-36 survole l’archipel des îles Charlotte au Canada, deux de ses moteurs prennent successivement feu et un troisième tombe en panne. L’énorme bombardier perd rapidement de l’altitude et l’écrasement semble inévitable. Dans de pareilles circonstances, les consignes sont de larguer la bombe atomique non armée de son coeur de plutonium et de la faire exploser à moins de 1 000 mètres d’altitude.
Contenant deux tonnes d’explosifs conventionnels et une quarantaine de kilogrammes d’uranium non-enrichi, la bombe larguée au-dessus de la mer explose comme prévu. Le pilote dirige ensuite l’avion vers la terre ferme et ordonne à l’équipage d’évacuer l’appareil. Avant de lui même sauter en parachute, il règle le pilote automatique afin d’orienter le B-36 vers le large. Répondant à l’appel de détresse, l’Aviation royale canadienne (ARC) déclenche rapidement une opération de recherche et de sauvetage. Dans les jours qui suivent douze membres de l’équipage, dont le pilote, sont secourus. L’Opération Brix, à laquelle participent une quarantaine d’aéronefs canadiens et américains pendant les semaines qui suivent, permet de ratisser près de 65 000 km2. Aucune trace des cinq membres de l’équipage disparus, ni de débris du bombardier, ne sont trouvés. À l’époque, le plus grand secret entoure la mission réelle du B-36 disparu.
Trois ans plus tard, lors d’une opération de recherche d’un bimoteur De Havilland Dove disparu, un avion de l’ARC repère l’épave du bombardier B-36 près du sommet du mont Kologet en Colombie-Britannique. Inexplicablement, l’énorme bombardier que l’on présumait au fond l’océan Pacifique a viré de bord et continué à voler plus de 300 km avant de s’écraser près de la frontière de l’Alaska. Ce n’est qu’en 1954 qu’une équipe de l’USAF réussit à atteindre ce site difficile d’accès. Après avoir récupéré des équipements ultra-secrets, des artificiers de l’USAF font exploser les restes de l’avion. En 1956, deux géologues découvrent par hasard le site de l’écrasement, mais seront tenus au secret. Ce n’est que dans les années 1980 que de l’information commence à percoler sur ce premier Broken Arrow. Encore aujourd’hui, un flou entoure la perte ou non du coeur de plutonium qui aurait été soit parachuté ou resté à bord du B-36. En 1997, une équipe du ministère canadien de la Défense a réalisé une analyse environnementale du site d’écrasement et n’a trouvé aucune source importante de radiation.
Le second incident Broken Arrow au Canada se produit le 10 novembre 1950. Vers 16:00, les habitants du paisible village de Saint-André-de-Kamouraska sont secoués par une violente explosion. Certains voient l’éclair de l’explosion et un nuage de fumée jaune s’élever au large des îles Pèlerin dans l’estuaire du Saint-Laurent. Le gouvernement canadien laisse croire qu’il s’agit d’un simple exercice militaire avec bombe conventionnelle. L’histoire est d’autant plus crédible que les avions d’une école de bombardement du Programme d’entraînement aérien du Commonwealth, basés à Mont-Joli, utilisait les eaux de l’estuaire comme zone d’entraînement. Aussi, les riverains se souviennent de la traque des sous-marins allemands par les bombardiers de l’ARC pendant la bataille du Saint-Laurent. La puissance inhabituelle de l’explosion laisse toutefois planer des doutes, mais tout est mis en oeuvre pour étouffer l’affaire.
Quelques mois auparavant, le Canada avait secrètement autorisé les États-Unis à entreposer une douzaines de bombes atomiques Mk4 sur la base aérienne de Goose Bay au Labrador. Face à la menace soviétique pesant sur l’Europe, les américains souhaitait ainsi rapprocher sa force de frappe nucléaire du vieux continent. Alors qu’un bombardier Boeing B-50 Superfortress ramène une de ces bombes vers les États-Unis en survolant le Québec, de la glace se forme dans les carburateurs de deux moteurs et provoque leur panne. L’avion perdant de l’altitude, la bombe Mk4 est larguée au milieu de l’estuaire, large d’un vingtaine de kilomètres à cet endroit. Elle explose à 760 mètres au-dessus de l’eau, dispersant environ 45 kilogrammes d’uranium non-enrichi. Impossible de savoir si le coeur de plutonium était aussi à bord du B-50 qui réussit à se poser sur la base américaine la plus proche située dans le nord du Maine.
Ce n’est qu’en 2000 que le ministre de la Défense nationale du Canada confirme les faits. Une enquête journalistique réalisée en 2013 auprès des autorités sanitaires a conclu à l’absence d’augmentation significative du taux de cancer dans la population locale. Abritant d’importantes colonies d’oiseaux aquatiques, les îles Pèlerin jouissent aujourd’hui d’une protection écologique. Seuls des scientifiques munis d’un permis spécial peuvent y poser le pied. Les ornithologues amateurs doivent se contenter d’excursions en bateau autour de ces îles inhabités.
On peut certainement qualifier 1950 d’Annus horribilis pour l’USAF avec cinq occurrences Broken Arrow, dont trois sur le territoire américain: écrasement au Nouveau-Mexique d’un Boeing B-29 (décès des 13 membres d’équipage), écrasement d’un B-50 en Ohio (16 décès) et explosion d’un B-29 lors d’un atterrissage d’urgence en Californie (19 victimes). Heureusement, aucune explosion nucléaire n’a résulté de ces accidents. Rendons hommage à ces héros oubliés de la Guerre froide qui ont sacrifié leur vie pour la préservation de la paix en assumant la dissuasion nucléaire face à l’expansionnisme soviétique. Saluons aussi la détermination de ceux qui ont permis lever le voile sur ces événements, car en temps de guerre (même froide) la première victime est toujours la vérité.
En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
6 Responses
Broken arrow est aussi le code pour demander un soutien aérien d’urgence de tout les appareils disponibles sur zone lorsque qu’une unité américaine est sur le point d’être submergée par l’ennemi. Utilisé notamment au Vietnam lors de la bataille de ia drang.
Bonjour,
Je me souviens très vaguement d’un crash d’un bombardier US en Espagne, sur la côte. Une bombe a mis très longtemps avant d’être retrouvé. Je crois qu’il fallu un sous-marin.
Quelqu’un s’en souviendrai ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_nucl%C3%A9aire_de_Palomares
Vous faites référence à l’accident nucléaire de Palomares en Andalousie au large des la côtes espagnoles au-dessus de la mer Méditerranée, le 17 janvier 1966. Lors d.in ravitaillement en plein vol entre un Boeing B-25G et un KC-135 se produisit une collision entre ces 2 appareils entraînant la destructions des 2 aéronefs et la mort de 7 membres parmi leurs d’équipages .L’une des bombes fut retrouvée dans le fond marin après de multiples recherches. Les 3 autres furent récupérées intactes sur le sol dans les envirions de Palomares, https://www.sortirdunucleaire.org/Il-y-a-40-ans-des-bombes-atomiques
près d’Alméria au nord-est de l’Andalousie
Bonne lecture!
https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/04/08/la-bombe-de-palomares-a-ete-recuperee_2698397_1819218.html
Oups! « près d’Alméria au nord-est de l’Andalousie » devrait être supprimé à la fin du texte…
Bonjour,
Merci à tous,
J’ai de quoi rafraîchir ma mémoire ☺️
Bonne journée,
BJ