C’est une de ces drôles d’aventures aéronautiques qui essaima durant le vingtième siècle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale l’avionneur Glenn L. Martin et l’industriel Westinghouse conçurent en commun le système de retransmission télévisuel aéroporté nommé Stratovision. Ils testèrent celui-ci au moyen d’un bombardier stratégique Boeing B-29 réformé.
L’idée de base développée par les ingénieurs des deux entreprises américaines était alors que près de deux Américains sur trois n’avaient pas accès à la télévision. Et ce non pas car ils ne possédaient pas encore le fameux «poste de télévision» mais simplement parce que la région où ils vivaient n’était pas couverte par les systèmes de retransmission. En fait en 1946 seuls une dizaine de très grosses villes américaines (New York, Chicago, Los Angeles, Washington DC, …) ainsi que leurs banlieues respectives étaient raccordées.
Et selon eux la solution passait par l’avion. Ou plutôt par un maillage d’avions volant entre 5000 et 7000 mètres d’altitude qui pourraient relayer les longueurs d’ondes hertziennes vers les antennes de télévision des Américains. Après avoir un temps envisagé le recours à un avion de ligne Martin 2-0-2 ils durent se rendre à l’évidence : il leur fallait un appareil capable de croiser à une altitude de 10000 mètres. Et là le nouveau bimoteur de Martin, aussi moderne soit-il ne faisait plus du tout le poids.
Ils testèrent un temps un Lockheed PV-2 prêté par l’US Navy mais comme le Martin 2-0-2 cet avion demeurait trop frêle et trop peu apte aux vols à haute altitude. Non clairement il leur fallait un avion-cargo militaire ou bien un bombardier !
Les ingénieurs se mirent en quête de l’avion idéal et ils le trouvèrent tout naturellement dans les stocks de la jeune US Air Force. Ils jetèrent leur dévolu sur le Boeing B-29 numéro 44-84121. Il s’agissait en fait d’un avion construit durant la guerre par Bell Aircraft. Lourdement modifié par les techniciens de Martin il vit son armement, son système de bombardement, et une partie de son avionique typiquement militaire déposés. Sa soute à bombe fut remplacé par une cabine permettant à deux ingénieurs de gérer en temps réel la retransmission des images.
Les essais en vol débutèrent en juin 1948 et démontrèrent rapidement de bonnes performances. Martin et Westinghouse passèrent un accord avec un demi-douzaine de chaînes de télévision locales. C’est ainsi que le B-29 Stratovision fut essayé au-dessus des régions de Baltimore sur la côte est, de Las Vegas dans le désert du Nevada, ou encore de Sacramento en Californie. Et à chaque fois l’avion permettait d’augmenter la couverture télévisuelle de près de 78%. En gros la majorité des habitants de ces régions passait de rien à quelques images animées. Un vrai progrès en soi.
Mais c’était quoi ce système Stratovision au juste ? En fait il prenait la forme d’une énorme antenne relai télescopique installée sous l’intrados du fuselage du Boeing B-29, légèrement à l’arrière du cockpit. Une seconde antenne, fixe cette fois ci, se trouvait installé en haut de l’empennage. Si la première redirigeait les ondes hertziennes vers les antennes relais au sol au plus près des futurs téléspectateurs, la seconde elle était chargé de capter les émissions d’origine.
Malgré des résultats plus que probants le développement et les essais furent suspendus en février 1949. En fait les équipes de Westinghouse mais aussi d’autres industriels américains avaient largement amélioré la technologie des antennes relais au sol, condamnant un système finalement très gourmand en carburant et qui risquait de s’avérer couteux à l’usage.
Pourtant une dizaine d’années après l’arrêt de Stratovision deux universités de l’état de l’Indiana eurent l’idée de relancer le programme afin de proposer des cours aux étudiants les plus éloignés des sites d’enseignement supérieurs. Pour cela des chercheurs et ingénieurs des universités de Bloomington et de Purdue adaptèrent Stratovision sur un avion de ligne Douglas DC-6. Utilisé entre 1961 et 1968 ce quadrimoteur permit à des milliers de jeunes Américains vivant un peu partout dans le Midwest de suivre des cours retransmis par la télévision.
Il est à signaler que l’armée américaine utilisa également ce système au Vietnam dans le cadre de la guerre psychologique, mais ça c’est une autre histoire !!!
Finalement il faut reconnaitre que les ingénieurs ne faisaient que mettre en application ce qui plus tard allait devenir une réalité spatiale avec les centaines de satellites qui chaque jour survolent notre planète pour retransmettre en temps réel les images venant de l’autre bout du monde. Quand aux chercheurs de l’Indiana, ils avaient juste trente-cinq ans d’avance sur internet ! Pas mal finalement.
Photos © San Diego Air & Space Museum.
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Une réponse
Très intéressant article, merci.
Pas bêtes dans la CIA ou l’Us Air Force ! Ou comment se faire payer par des civils les moyens de guerre psychologique, qui, en effet, servent toujours au large de la Syrie, ou de la Corée du Nord, (ou de la Libye en 2011).