Au début d’octobre, le Commandant Piché réalisait son dernier vol commercial aux commandes d’un Airbus A330 d’Air Transat au départ de l’aéroport Fiumicino à Rome à destination de Montréal. Ce vol de routine s’est déroulé sans histoire, si ce n’est du pilote qui fêtera bientôt ses 65 ans et terminait ainsi une carrière hors de l’ordinaire. Lors de ce vol, l’avion a survolé les Açores où il est entré dans la légende, suite à un exploit unique dans les annales de l’aviation. Tous les centres de contrôles aériens, des Açores jusqu’à Montréal en passant par Gander et Moncton en ont profité pour lui souhaiter bonne retraite ! Au Canada comme au Portugal, le commandant Robert Piché est encore acclamé comme un héros de nos jours, malgré le fait que l’évènement aéronautique exceptionnel qui l’a rendu célèbre s’est déroulé il y a plus de quinze ans. Comme la plupart des vrais héros, il se considère plutôt comme un « gars bien ordinaire qui s’est retrouvé dans une situation extraordinaire ».
Pourtant, le commandant Piché a un parcours de vie peu banal. Né à Québec en 1952, il passe la majeure partie de son enfance à Mont-Joli. Suite à des études collégiales à Chicoutimi, il obtient son diplôme en pilotage d’aéronefs en 1973. À l’époque, les francophones qui aspirent à faire carrière comme pilote de ligne au Canada doivent trimer dur dans un univers dominé par les anglophones. C’était avant la bataille de l’Association des gens de l’air du Québec qui deviendra l’un des symboles de l’affirmation des francophones au Canada.
Œuvrant d’abord comme pilote de brousse, puis comme pilote de ligne avec Québecair, il perd son emploi en 1983 dans la foulée d’une grave crise économique qui frappe de plein fouet le secteur aéronautique nord-américain. Il se résigne alors à utiliser ses talents de pilote pour transporter illicitement de la marijuana depuis la Jamaïque. Cependant, il est intercepté et arrêté aux États-Unis. Condamné à une peine de dix années, il est emprisonné en Géorgie. Dû à sa conduite exemplaire dans ce rude univers carcéral, il est toutefois libéré en 1985 et sera même gracié. De retour au Québec et sans-le-sou, il occupe divers petits boulots, dont chauffeur de taxi à Iqaluit au Nunavut. Ainsi aurait pu se terminer sa carrière de pilote… Le vent tourne toutefois en sa faveur avec la reprise économique et la pénurie de pilotes qui en résulte. Après quelques contrats de convoyage d’avions, il est finalement embauché par la compagnie québécoise Air Transat en 1995.
Bien malgré lui, il réalise un véritable miracle le 24 août 2001 alors qu’il pilote un Airbus A330-200 effectuant le vol 236 d’Air Transat entre Toronto et Lisbonne. Avec l’aide de son copilote Dirk de Jager, il réussit un atterrissage d’urgence sur la piste de la base de Lajes, aux Açores suite à un incroyable vol plané de plus de 20 minutes, tous moteurs éteints suite à une fuite de carburant au milieu de l’Atlantique. Se fiant à son instinct plutôt qu’aux directives des contrôleurs aériens, et gardant son sang-froid malgré la catastrophe qui semblait inéluctable, il sauva la vie des 293 passagers et 13 membres d’équipage. En phase finale d’approche, le commandant Piché réalisa même une série de virages serrés et une boucle à 360 degrés afin de perdre de l’altitude et ralentir le lourd appareil qui s’immobilisa sur la piste sans dommages structurels, avec «seulement» huit de ses dix pneus éclatés. En 2016, l’organisme international Air Line Pilots Association (ALPA) soulignait cette prouesse en remettant aux deux pilotes une distinction en la qualifiant du plus grand exploit des cinquante dernières années dans le pilotage civil.
Cette notoriété soudaine en 2001 a toutefois incité un journaliste fouille-merde à déterrer certains aspects peu glorieux de son passé qui, associé au traumatisme d’avoir frôlé la mort de si près, a replongé le commandant Piché dans sa dépendance à l’alcool. Avec tout le courage dont il avait déjà fait preuve, il a surmonté ses vieux démons, allant même jusqu’à coopérer à la réalisation du film Entre ciel et terre, relatant sa vie.
Avec l’appui de ses proches et d’Air Transat qui connaissait déjà son passé, le commandant Piché a poursuivi sa carrière de pilote d’avion de ligne, suite à une thérapie, tout en devenant un conférencier fort sollicité. Aussi, il partage ses expériences lors de conférences dans les écoles, les prisons, les centres de désintoxication, où il est un véritable symbole d’espoir pour ceux qui veulent reprendre leur vie en main. Voulant redonner au prochain, il a mis sur pied la Fondation Robert Piché, qui supporte les organismes qui viennent en aide aux personnes aux prises avec des problèmes de dépendance à l’alcool, à la drogue et au jeu. Le Commandant Piché réalisera d’ailleurs un dernier vol spécial le 12 octobre prochain aux commandes d’un avion de ligne d’air Transat au profit de la fondation qui porte son nom. Lors de ce court vol d’environ une heure, l’avion décollera de Montréal et survolera la ville de Québec avant de faire demi-tour.
Quand on lui demande ce qu’il fera durant de sa retraite, Robert Piché qui veut préserver son jardin secret répond, sourire en coin et l’œil narquois, qu’il compte prendre son baluchon et partir à la découverte du monde avec son épouse. Aussi, malgré ses 20 000 heures de vol bien comptées, il compte bien continuer à piloter. On ne peut que lui souhaiter bien du plaisir et du succès dans ce nouveau chapitre de sa vie !
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6 Responses
Bonne Retraite Robert!
Belle et riche carrière, ça c’est un aviateur comme je les aime ! Avec ses parts d’ombre qui en font un homme, un vrai.
Merci Marcel de nous avoir fait découvrir ce parcours humain.
Un VRAI mec avec ses défauts et ses qualités.
Un seul mot: Respect.
Super se gars.
Sans vouloir manquer de respect (on se sait jamais comment on se comporterait durant une situation d’urgence) il me semble que le problème de la fuite de carburant du vol 236 d’Air Transat ait été exacerbé par des actions inappropriées de l’équipage pendant le vol. Cela ne retire rien à l’exploit du vol plané mais faut-il pour autant idolâtrer le pilote ?
L’enquête sur cet incident a révélé une chaîne de problèmes. Le blâme principal de la fuite fut alloué à un technicien au sol qui a commis une faute lors de l’entretien de l’appareil. La fuite non détectée de carburant a provoqué un débalancement de l’appareil que les pilotes ont tenté de corriger en pompant du carburant d’un réservoir à un autre sans indication qu’ils aggravaient ainsi la situation. Les procédures d’entretien et de pilotage d’appareils Airbus ont été revues suite à l’enquête afin que ce genre de situation ne se reproduise pas. Ce qui aurait pu tourner au drame a finalement fini en miracle dû au sang froid des pilotes. Malheureusement d’autres pilotes et passagers ont payé de leur vie dans ce processus d’amélioration continue de la sécurité des vols commerciaux qui tire ses leçons d’accidents et incidents..