Avionneur parmi les plus importants de l’histoire aéronautique Lockheed Aircraft Corporation a pourtant, comme la majorité de ses concurrents d’ailleurs quelques cadavres dans ses placards. Des avions qui souvent ne dépassèrent pas le stade de la planche à dessins ou de la maquette de pré-définition. C’est notamment le cas du bimoteur CL760 conçu durant la guerre froide pour la reconnaissance et la lutte contre les guérillas ennemies, un thème alors cher aux généraux du Pentagone. Un programme dont l’échec allait profondément marquer les designers et les ingénieurs des Skunk Works.
En fait en 1963 les responsables de Lockheed se rattachèrent au programme LARA, pour Light Armed Reconnaissance Aircraft qui visait à fournir à l’US Air Force, l’US Army, et l’US Navy un avion léger de reconnaissance armé capable d’appuyer les troupes au sol et même le cas échéant de se dégager s’il était pris à parti par un hélicoptère ou un avion ennemi. Ce programme était alors un des plus ambitieux du Pentagone et la majorité des grands avionneurs américains y répondirent avec des projets tous plus différents les uns des autres. Certains faisaient appel à des moteurs à pistons tandis que d’autres avaient recours à la turbopropulsion.
Pour les ingénieurs de Lockheed ce fut la première de ces deux formes de propulsion. Leur avion était en fait de facture assez classique avec une capacité de décollage et d’atterrissage court, demandé en filigrane. Pour le reste l’avion avait été pensé pour emporter une gamme d’armement vaste et large allant des mitrailleuses M60 de calibre 7.62mm aux missiles air-air d’autodéfense AIM-9 Sidewinder en passant par la majorité des bombes lisses d’une masse égale ou inférieure à 500kg et la plus part des roquettes air-sol en paniers. En fait comme pour l’avion, à chaque fois qu’il fut présenté armé, tout était factice.
Cependant la construction de la maquette du CL-760 ne parvint pas à convaincre les généraux américains de la pertinence de leur avion. Le bureau d’étude qui avait pourtant accouché de quelques-uns des meilleurs aéronefs militaires de son temps, comme l’avion-espion U-2 ou encore le cargo C-141 Starlifter, venait de perdre le marché par manque de courage et d’originalité. En fait les Skunk Works avaient voulu simplement respecter stricto sensu le cahier des charges, et avait donc fait tout l’inverse de ce que ses designers et ingénieurs savaient faire.
Cet échec allait durablement marquer les personnels du bureau d’étude qui par la suite allaient savoir faire usage d’une originalité voire même de génie dans quelques-uns des programmes les plus emblématiques de l’histoire de l’aviation, du SR-71 Blackbird au F-117 Nighthawk en passant les différentes adaptations de l’avion de transport C-130 Hercules pour des missions aussi différentes que la reconnaissance météo, la guerre psychologique, ou encore la recherche et le sauvetage en haute mer.
Assez étrangement les deux seules fois où les Skunk Works sont revenus à un peu plus de classicisme depuis l’échec du CL-760, les avions ont peiné à s’implanter vraiment sur le marché. Il y eut d’abord l’avion de ligne triréacteur L-1011 TriStar puis plus récemment et dans une moindre mesure l’avion de combat multirôle furtif F-35 Lightning II dont les mésaventures alimentent la chronique.
Ah oui au fait pour la petite histoire le programme LARA fut remporté par North American Aviation et son OV-10 Bronco, pour le coup beaucoup plus original dans sa conception que le Lockheed CL-760. Comme disait notre cher Danton : «De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace».
Photos © San Diego Air and Space Museum & Lockheed Martin.
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7 Responses
Article fort instructif !
Amusant tout de même, car dès la première photo on remarque la parenté évidente avec le Bronco, qui reprend du CL760 quasi trait pour trait les lignes du nez et du cockpit, + les 4 M60 en nacelles.
Mais en configuration bipoutre, soute pour fret / parachutistes, train rentrant, et un agencement plus cartésien de l’armement. Ce qui aura sans nul doute fait pencher la balance en sa faveur.
Il existe un dossier (malheureusement en anglais) dédié au programme LARA. Pour ceux que ça intéresserait, je mets le lien ci-dessous:
http://www.combatreform.org/killerbees2.htm
Il existe quelques très bons bouquins, en anglais il faut le reconnaitre, sur lesquels je me suis appuyé pour ce sujet.
Oh mon dieu, on dirait l’avorton récupéré de l’accouplement entre un Bronco et un Hawk !
Embraer s’en sort bien avec le Super Tucano ! Avec la colombie à côté, ils ont une bonne excuse pour bien faire 😉
Vous vous trompez, ou vous avez mal tourné votre phrase. Les moteurs envisagés étaient bien des turbopropulseurs…
Dans cette catégorie d’appareil le FMA Pucarà argentin me semble être la meilleure réalisation. Mais qui à l’époque pouvait prévoir que ce rôle aboutirait aux aéronefs à voilure tournante.
J’ai un peu de mal à croire que le bureau d’études super-secret de Lockheed se soit penché sur un projet aussi banal qu’un petit biturboprop du programme COIN. De même le développement d’un gros porteur de la taille du Lockheed L1011 ne me semble pas correspondre à ce qu’on a toujours demandé au Skunk Works, à savoir des projets ultra secrets qui restent inconnus pendant le plus longtemps possible comme l’U2, le SR-71, le Have Blue et le F117. Le programme LARA était totalement public et a donc vu les propositions de Convair, Lockheed et finalement North American qui remporta le contrat. Comme tous les constructeurs d’avions, Lockheed possédait un bureau d’études classique. Pourquoi donc aurait-on demandé au Skunk Works d’étudier également un gros porteur commercial qui par définition ne doit rien avoir de secret. Je serais curieux de savoir le fin mot de l’histoire.