Le monde ne sera plus jamais le même après ça. 71 379 morts et 68 023 blessés, voilà le bilan officiel au soir du 6 août 1945 du bombardement américain contre la ville japonaise de Hiroshima. Ce jour même à 8h15 de matin (heure locale) la vie s’est arrêtée lorsqu’un bombardier américain Boeing B-29 appartenant à l’US Army Air Force a largué la première arme atomique opérationnelle de l’Histoire. L’unique bombe Little Boy d’une masse d’environ quatre tonnes contenait 64kg d’uranium 235. A peine plus d’1% de cette masse allait entrer en fission.
Par rapport aux bombardements conventionnels que les Alliés réalisèrent en Allemagne, notamment contre les villes de Hambourg et Dresde, celui de Hiroshima marqua considérablement les esprits. Ici les victimes qui avaient survécu au souffle nucléaire allaient périr dans d’atroces souffrances dans les mois et les années à venir. Au milieu des années 60 la très sérieuse Organisation Mondiale de la Santé annonça le chiffre de 334 cancers et 231 leucémies consécutives à ce bombardement. On sait aujourd’hui que le chiffre réel avait été divisé par quatre ou cinq. Il ne fallait pas montrer le vrai visage de cette attaque, qui couplée avec celle quelques jours plus tard contre Nagasaki avait stopper la Seconde Guerre Mondiale.
Nagasaki, 25 680 morts et 23 345 blessés seront cette fois ci comptabilisés dans cette important centre industriel de l’archipel où notamment étaient assemblés une partie des avions de combat Mitsubishi. Une fois encore c’est un B-29 qui va lâché l’arme absolu contre le Japon. Celle ci porte désormais le nom de Fat Man. A peine plus lourde que celle de Hiroshima elle développa une puissance de 21kT (kT = kilotonne) soit la puissance 21 000 tonnes de TNT. Six jours seulement après ce 9 août 1945, le Japon capitulait officiellement. L’acte de reddition était signé à la fin du mois. Heureusement car un troisième bombardement, contre la ville de Sapporo était programmé, vraisemblablement pour le 16 août.
Pour beaucoup la bombe atomique avait accéléré l’inévitable chute de l’expansionnisme de l’empire nippon. Mais peu avaient conscience qu’au contraire elle allait engendrer un conflit nettement plus dangereux encore pour l’équilibre des nations : la Guerre Froide. Née sous des auspices idéologiques, entre d’un côté une course capitaliste effrénée et sans scrupule et de l’autre un marxisme totalement déshumanisé et dictatorial, cette guerre allait grandir sur les ruines d’une Europe déchirée et incapable de panser ses plaies économiques, humanitaires, et structurelles.
Américains et Soviétiques allaient désormais s’affronter sur des champs de bataille excentrés, principalement en Asie, mais aussi dans une moindre mesure en Europe occidentale. Britanniques et Français allaient quand à eux arbitrer une partie dans laquelle ne se jouait ni plus ni moins que le sort de la planète. Le 22 août 1949 l’Union Soviétique rejoint les USA dans le club très très fermé des pays possédant l’arme nucléaire. En effet elle vient de faire exploser la bombe RDS-1, une arme plus puissante encore que Fat Man. Le 3 octobre 1952 un troisième pays rejoint ce club, le Royaume-Uni, qui a mit sa bombe au point avec l’aide des Américains. Huit ans plus tard la France y fait son entrée malgré l’hostilité grandissante des USA vis à vis de la bombe française. En effet celle ci s’est faite sans leur assistance technique. A ce moment là la balance penche dangereusement en faveur du camps occidental avec trois puissances sur quatre. La Chine maoïste rétablira un peu l’équilibre en 1964.
Même si l’avion demeure, durant la Guerre Froide, le principal vecteur de frappe nucléaire avec des machines comme l’AJ Savage, le B-36 Peacemaker, le B-47 Stratojet, l’Il-28 Beagle, ou encore le Tu-95 Bear il n’en demeure pas moins que le missile sol-sol commence à sérieusement lui faire de l’ombre. Et pour cause. Plus discret, plus rapide, moins facile à abattre il peut en outre emporter un nombre important de têtes nucléaires. Il va pleinement entré dans l’esprit des habitants de notre planète en octobre 1962.
En fait tout commença en1959 lorsque le révolutionnaire marxiste Fidel Castro prit le pouvoir à Cuba en renversant le pouvoir en place. Son système communiste mis en place, il s’allia immédiatement aux Soviétiques. Malgré quelques coups de forces orchestrés par la CIA, dont le fameux débarquement de la Baie des Cochons, les Américains ne réussirent jamais à le déloger. Castro tenait désormais l’île dont les côtes se trouvent à moins de 150 kilomètres de l’archipel des Keys, c’est à dire la pointe sud de la Floride. Parallèlement à cela, en 1961 le nouveau Président des Etats-Unis John Fitzgerald Kennedy décida de déployer en Italie et en Turquie, deux pays membres de l’OTAN, des missiles nucléaires sol-sol Jupiter capables de frapper le bloc communiste et notamment Moscou la capitale soviétique. C’en était trop pour Nikita Khrouchtchev, le premier secrétaire soviétique, qui décida de répliquer en installant des rampes de missiles à Cuba même. Dans le même temps JFK décréta un embargo total contre Castro et Cuba.
Khrouchtchev fait convoyer par la mer un total de 36 missiles SS-4 et SS-5 destinés à armer des pas de tir cubains. Ces missiles sont chacun à même de rayer de la carte n’importe quelle grande ville américaine, y compris New York ou Los Angeles. Dans le même temps des sous-marins soviétiques patrouillent autour de l’île et dans le Golfe du Mexique à la recherche des bâtiments de guerre de l’US Navy. Celle ci avait prédisposé deux de ses porte-avions dans la région en raison d’un exercice censé impressionner les Cubains. Il faut dire qu’à l’époque les chasseurs embarqués F-8 Crusader ont peu d’ennemis capables de les descendre. C’est le 14 octobre 1962 que le plan des Soviétiques est découvert par l’OTAN. En effet un espion volant U-2 photographie des rampes de missiles SS-4 à Cuba, tandis que les services de renseignement européens confirme que la flotte de cargos soviétiques, sous protection de la marine de guerre, a bien appareillé. L’US Navy et l’US Air Force sont alors mis en état d’alerte. Une bataille psychologique va alors s’engager entre Washington et Moscou d’où émergera un compromis le 24 octobre 1962 lorsque les navires soviétiques refuseront de violer le blocus militaire organisé par les Américains. Kenedy fait immédiatement rappeler les B-52 et B-58 en patrouille de combat. Ces bombardiers avaient ordre de frapper les forces communistes au moyen d’armes nucléaires. Le monde est passé à un cheveu de la guerre atomique. Le lendemain les Soviétiques font machines arrières et retournent en Russie, laissant à Castro les missiles qu’il possède déjà. La crise des missiles cubains vient de prendre fin.
Dès lors la guerre atomique est devenue ce à quoi le monde espère ne jamais avoir affaire. Cette crise donna à Kennedy une des plus célèbres citations de l’histoire américaine, lors d’un discours survenu le 10 juin 1963 « Si nous ne pouvons mettre fin à nos désaccords, au moins pouvons-nous aider à assurer dans le monde une sécurité qui permette la diversité des idées. Car en dernière analyse, notre lien commun fondamental, c’est le fait que nous habitons tous sur cette planète. Nous respirons tous le même air. Nous chérissons tous l’avenir de nos enfants. Et nous sommes tous mortels. » Cinq mois et demi plus tard JFK était assassiné. Il avait pourtant, avec l’aide de son homologue soviétique, sauvé le monde d’un holocauste nucléaire.
De nos jours le spectre d’une guerre nucléaire semble s’éloigner, même si certains pays bien peu démocratiques, comme l’Iran ou la Corée du Nord cherchent à acquérir l’arme atomique. En effet les différents programmes de désengagement nucléaires survenus depuis les années 70, et encore plus depuis la fin de la Guerre Froide ont considérablement réduit l’arsenal planétaire. Quoi qu’il en soit les cinq puissances nucléaires historiques, la Chine, la France, le Royaume Uni, la Russie, et les USA demeurent les garantes d’un certain équilibre né tout à la fois des cicatrices de Hiroshima et Nagasaki, mais aussi de la diplomatie de Kennedy et Khrouchtchev en 1962. De nos jours malgré l’avênement des sous-marins porteurs de l’arme atomique les bombardiers nucléaires n’ont pas disparus. Il s’appellent désormais B-2A Spirit, Mirage 2000N, Tu-160 Blackjack, Rafale, ou encore Tu-22M Backfire.
En 2012 une trentaine de pays environ possèdent cette arme ou sont en voie de la posséder. La dernière explosion d’une arme nucléaire lors d’une attaque remonte au 9 août 1945. Espérons qu’on puisse dire la même chose dans 67 ans. Pour les cinéphiles je conseille l’excellentissime Docteur Folamour de Stanley Kubrick qui traite merveilleusement bien de la problématique de la guerre nucléaire.
Photos (c) Smithsonian Institute & US Air Force.
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8 Responses
De 1950 à 1992, USA, plus de 800 en souterrains, et plus de 100 autres à l’air libre.
Soit plus de 900 !
(Dès 1963, tous en souterrains.)
Mais 1050 d’après Wikipédia.
De 1949 à 1989, en URSS, 348 ont explosées en souterrains, et 113 autres à l’air libres.
Soit 461 !
Mais 715 d’après Wikipédia.
Cher Stéphane, je ne comptabilisais dans ce sujet que les bombes ayant explosé dans l’intention de tuer des gens, et non d’expérimenter l’arsenal.
Super article Arnaud, merci. 😉
Bonjour, je sais.
Je ne te fait aucun reproche, loin de là, même.
Super travail que tu fait, mais je veut dire, autant de bombe atomique explosé pour de simple essais ! Ca fait peur, voilà.
Je le voyais aussi comme ça Stéphane. Aujourd’hui la majorité des grosses puissances nucléaires ne réalisent plus d’essais atmosphériques ou souterrains, mais font confiance aux calculs des ordinateurs de simulation.
😉
30 pays ont ou prévoient de se doter de la bombe ??
USA
Russie
Chine
GB
France
Inde
Pakistan
Corée du nord
Israel
Iran
Brésil ?
Algérie ?
…..
J’ai du mal à avoir le compte
En recoupant toutes les infos la trentaine de pays vient assez aisément. Entre ceux qui l’ont, ceux qui vont très vite l’avoir, et ceux qui l’auront sous dix à quinze ans : USA, Chine, Russie, France, UK, Inde, Pakistan, Corée du Nord, Israël, Iran, Ukraine. Pour ce dernier pays je rappelle que l’AIEA a toujours affirmé que des têtes nucléaires soviétiques demeuraient sur le territoire. Il en est de même d’une petite dizaine de menues « républiques » ex-soviétiques qui cherchent à enrichir discrètement depuis 1992, tels l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, l’Ingouchie, et quelques autres encore moins stables. La Birmanie, ex Myanmar, n’a jamais caché non plus son intention de détenir l’arme, tout comme la Thaïlande ou Singapour pour qui cela serait une manière de rétablir l’équilibre asiatique vis à vis des Chinois et des Indiens.Après je rappellerais que si les mouvements écologistes y sont fort, comme chez nous d’ailleurs, l’Australie a toujours accrédité la thèse selon laquelle la dissuasion nucléaire était la base d’un défense nationale crédible. Ensuite vient un autre pays peu stable diplomatiquement comme le Venezuela dont les relations avec l’Iran et la Chine ont tourné depuis longtemps autours du nucléaire. Ensuite des pays comme, la Turquie et le Chili parlent depuis longtemps d’indépendance militaire, une indépendance qui raisonne de plus en plus comme traitant du nucléaire. Reste la Syrie qui a toujours refusé la visite de certaines de ses bases à l’AIEA, notamment après la destruction de l’usine nucléaire irakienne par les F-16 israéliens dans les années 80, époque à laquelle le baasisme jouait à fond en Saddam et El-Assad père. Reste les épineux cas de l’Arabie Saoudite et de l’Afrique du Sud qui n’ont jamais par le passé caché leur intention d’acquisition d’armes atomiques mais qui n’en parlent plus désormais, sans pour autant parler de désarmement. Comme je disais la trentaine vient très très vite quand on y regarde de plus près. Forcément cette liste est subjective, surtout de la part d’un défenseur comme moi du désarmement nucléaire progressif.
😀 😀 😀