L’une des questions qui, aux États-Unis, se posa immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale fut de savoir qui devrait disposer de l’arme nucléaire. Les frappes opérées en août 1945 contre les villes nippones d’Hiroshima et Nagasaki avaient très profondément marqué le monde. La toute jeune US Air Force proposait bien entendu que ce soit ses imposantes unités de bombardiers Convair B-36 Peacemaker, tandis que l’US Navy déclarait que cette arme nécessitait une mobilité et une réactivité que seul le porte-avion pouvait apporter. Devant ce qui ressemblait tout de même à une querelle de clochers le Congrès prit la décision d’armer les deux avec des bombes atomiques. C’est ainsi que l’US Navy fut amenée à commander à North American un bombardier nucléaire moyen capable de servir depuis un porte-avion de la classe Exeter. L’avion allait devenir l’AJ Savage.
La première des contraintes que rencontra l’US Navy fut le gabarit des armes nucléaires de l’époque. La plus part atteignaient 10 000 livres (soit plus ou mois 4 500kg) et étaient par conséquent extrêmement encombrantes. La seconde contrainte fut d’avaliser le principe d’un tel avion. En 1947, attendant le premier vol et l’entrée en service du Savage, la Navy décida de confier cette seconde contrainte à un avion nouvellement entré en service dans son arsenal : le Lockheed P2V Neptune. Les séries d’appontages et de patrouilles effectués par ces gros bimoteurs terminèrent de convaincre les dernières réticences du Congrès et du Pentagone de la nécessité stratégique de disposer d’un tel appareil. Un problème de politique étrangère vint renforcer cet état de fait : la Guerre Froide venait de débuter entre les deux géants. Le premier acte fort de la Guerre Froide fut le déclenchement de la Guerre de Corée et l’envoi massif par l’ONU et les États-Unis de troupes dans la région. Le besoin du AJ se faisait de plus en plus sentir. Les ingénieurs de North American mirent les bouchées doubles et le premier prototype désigné XAJ-1 effectuait son premier vol le 3 juillet 1948. Après une série d’accidents qui touchèrent les deux autres prototypes la production du Savage fut lancée et les premiers exemplaires arrivèrent sur porte-avion en mai 1949. Un total de 40 exemplaires de cette série, désignée AJ-1, fut commandé.
Le North American AJ se présente comme un bimoteur monoplan à aile haute disposant d’un empennage à dièdre renforcé. Il possède un train d’atterrissage tricycle escamotable et une crosse d’appontage renforcé. Pour un gain de puissance le constructeur a adjoint un turboréacteur aux deux moteurs en étoiles, et le Savage pouvait emporter dans certains cas des fusées d’appoint largable type « RATO » collées au flanc de son fuselage. La charge offensive se trouvait dans une soute à armement pressurisée. L’avion ne disposait pas d’armement défensif.
Durant la Guerre de Corée l’US Navy n’affecta ses Savage qu’à leur mission initiale, à savoir l’alerte nucléaire de jour, alors que ces avions auraient tout à fait put remplir des missions d’attaques conventionnels. Mais la vision du Department of Navy était que les AJ-1 devaient pouvoir décoller rapidement pour une éventuelle frappe sur le nord du pays ou sur l’URSS si le cas se présentait. Suivant le même principe qui déboucha sur la construction des RB-36, la Navy commanda 30 exemplaires d’une version de reconnaissance photo désigné AJ-2P. Cette nouvelle version était mieux pressurisée, permettant de véritables vols à haute altitude, et disposait d’équipements électroniques plus performants. Les AJ-2P emportaient une dizaine d’appareils photographique K-33, K-34, et K-37 dans la soute à bombes, sans oublier le système le plus performant de l’époque : l’appareil photo thermique K-38 installé dans le nez de l’avion.
Les AJ-2P effectuaient principalement des missions de reconnaissance photo et d’espionnage le long des côtes asiatiques et des séries de photographie post-strike. Plusieurs de ces avions ont néanmoins été perdus en vol, souvent abattus par des Mikoyan-Gurevitch Mig-15 et Mig-17 ennemis.
Les succès du AJ-2P et ses excellentes qualités de vol poussèrent l’état-major à commander à North American une version de bombardement désigné AJ-2. Par rapport aux deux versions précédentes l’AJ-2 disposait d’un empennage agrandi et d’une capacité en carburant accrue. La soute à bombes a également été revue de manière à pouvoir le cas échéant emporter des torpilles nucléaires, une arme qui ne sera en fait jamais installé à bord. Le total des AJ-2 assemblés atteint le nombre de 70. Ces avions livrés dès novembre 1953 prirent immédiatement l’alerte nucléaire, laissant aux AJ-1 la fonction d’avion d’entrainement aux futurs équipages d’AJ-2 et AJ-2P.
À partir de 1956 les Savage ont peu à peu laissé la place aux Douglas A3D Skywarrior dans la mission d’alerte nucléaire. Environ 50 AJ-1/AJ-2 ont été par la suite transformés en avions de ravitaillement en vol, sans que leur désignation ne soit modifiée. Ces avions participèrent aux opérations au plus près des chasseurs et avions d’attaques de la Navy. Seul les AJ-2P demeurèrent en service opérationnel stratégique.
Le 16 juillet 1957 cinq AJ-2 de ravitaillement en vol du Squadron VAH-11 furent détachés à terre de manière à suivre le Vought F8U Crusader du major John Glenn, futur astronaute et sénateur démocrate des États-Unis, lors de son vol record entre Los-Angeles et New-York. Ce vol connu sous le nom de projet Bull Run visait à prouver toutes les qualités du Crusader. John Glenn refusant d’être ravitaillé par les Boeing KC-97 Stratofreighter de l’US Air Force demanda expressément des Savage de la Navy. Ce fut là le point d’orgue de la carrière de ces avions très discrets.
En septembre 1962, les AJ-1, AJ-2 et AJ-2P furent respectivement renommé A-2A, A-2B, et RA-2B. Les derniers exemplaires, des RA-2B, furent retirés du service en juin 1964. Ils servaient depuis décembre 1960 uniquement à terre.
En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.